samedi 3 juin 2023

Technology-supported learning of proof in mathematics

Cabri-Euclide, Luengo, 2005
Proof assistants, an automatic theorem proving research track, are reaching a maturity which suggests that is possible to the exploration of their use for the learning of proof in  mathematics first at the level of higher education and at tentatively the upper secondary school. 

It in the context of this pioneer research that is organised the PAT 2023 Thematic School which seeks to offer a broad spectrum of current research in the field of didactic of proof, the impact of the use of proof assistants in education, formalization of mathematics and user interfaces for theorem proving. I will give a lecture which will include  (1) a survey of the evolution of AI research on the learning of proof in mathematics, (2) lessons learned from the past focusing on the relations between reasoning-proving and knowledge representation, and on the problem of feedback, eventually (3) didactic analysis of the teaching of mathematical proof and its implications for the design of learning environments. The introduction will outline the history of the teaching of proof in mathematics, a short epilogue will raise epistemological issues.

Suggested readings:

Arzarello, F. (2007). The proof in the 20th century (From Hilbert to Automatic Theorem Proving Introduction). In P. Boero (Éd.), Theorems in School : From History, Epistemology and Cognition to Classroom Practice (p. 43‑63). BRILL.
Balacheff, N. (2023). Notes for a study of the didactic transposition of mathematical proof. Philosophy of Mathematics Education Journal, 2023 volume
Balacheff, N., & Boy de la Tour, T. (2019)
. Proof Technology and Learning in Mathematics : Common Issues and Perspectives. In G. Hanna, D. Reid, & M. de Villiers (Éds.), Proof Technology in Mathematics Research and Teaching. Springer.
Czocher, J. A., & Weber, K. (2020). Proof as a Cluster Category. Journal for Research in Mathematics Education, 51(1), 50‑74.
Hanna, G., & Xiaoheng, (Kitty) Yan. (2021). Opening a discussion on teaching proof with automated theorem provers. For the Learning of Mathematics, 41(3), 42‑46.
Luengo, V. (2005). Some didactical and Epistemological Considerations in the Design of Educational Software : The Cabri-euclide Example. International Journal of Computers for Mathematical Learning, 10(1), 1‑29.

lundi 21 février 2022

Apport de la théorie des champs conceptuels à la didactique des mathématiques

École thématique du GDR DEMIPS, CNRS
Autrans 4-7 avril 2022

En hommage à Gérard Vergnaud (1933-2021)

La théorie des champs conceptuels est une "théorie de la conceptualisation du réel", annonce Gérard Vergnaud. Qu'en est-il pour les mathématiques ? domaine auquel Gérard Vergnaud a apporté une contribution majeure.  Je reprendrai les principaux concepts de la théorie, notamment ceux de schème, de concept et de théorème-en-acte. J'aborderai aussi la question de la double valence prédicative et opératoire des connaissances, et celle de la compétence. Enfin, j'aborderai la question de la relation entre concept et représentation sémiotique en discutant l'affirmation : "les mathématiques ne sont pas un langage, mais une connaissance".  La conclusion montrera comment la théorie psychologique construite par Gérard Vergnaud permet l'intégration de l'élève, sujet épistémique et mathématique,  dans la problématique de la didactique des mathématiques.

lundi 20 septembre 2021

Tour du monde des traditions doctorales

Les règles d'admission à la préparation d'un doctorat varient d'un pays à l'autre, il en va de même pour la préparation de la thèse  et, bien sûr, pour les traditions de sa soutenance. Ton de Jong, professeur de psychologie dont les recherches sont dans le domaine des technologies pour l'apprentissage humain, a eu l'idée d'inviter les membres de son très large réseau à témoigner de ce qu'il en est dans leurs pays. 

Nous avons ainsi eu l'occasion, Erica de Vries et moi, de rédiger quelques pages sur la préparation d'une thèse en France. Nous l'avons fait à partir de la documentation réglementaire et de notre expérience de la direction de recherche, et de membres de jurys de thèses. Nous n'appartenons pas aux mêmes disciplines, ainsi avons-nous noté des différences quant aux conditions d'accès à la thèse mais pas sur la tradition de soutenance sensiblement plus informelle que dans d'autres pays. 

Graduating around the globe est disponible en ligne. 

vendredi 30 juillet 2021

Situations pour l’apprentissage de la preuve en mathématiques : état de la recherche et questions ouvertes

Cours pour la 21ème école d’été de didactique des mathématiques

Les recherches sur la complexité épistémique, logique et discursive de l’apprentissage de la preuve ont suscité une abondante littérature au cours des deux dernières décades. Leurs résultats permettent une analyse plus fine des difficultés rencontrées par les élèves et de celles du travail des professeurs pour l’enseignement de la preuve en mathématiques. Ils confortent la conception de situations spécifiques, notamment les situations de validation au sens de la théorie des situations didactiques (TSD), dans lesquelles la preuve fonctionne comme outil de résolution de problèmes et créent les conditions de recevabilité d’une connaissance nouvelle. Cependant, subsiste la difficulté de saisir la preuve comme objet, pour en reconnaitre les spécificités mathématiques et l’institutionnaliser en tant que telle. C’est sur ce problème que portera l’exposé. Il complète les exposés du séminaire national de didactique des mathématiques (2019a) et du CORFEM (2019b).

La première partie de l’exposé sera consacrée à un état de la recherche internationale en reprenant de comptes-rendus de travaux relevant de différentes problématiques qui se distinguent par la façon dont le problème de l’enseignement de la preuve est posé et étudié.

La seconde partie de l’exposé proposera, dans le cadre de la TSD, une analyse de l’état actuel de la recherche.  La TSD est le cadre théorique de la modélisation des situations d’apprentissage dont l’objectif est de susciter et accompagner la genèse expérimentale de connaissances mathématiques déterminées, cependant que, plus généralement, ces situations « peuvent aider le professeur à faire vivre dans sa classe une véritable petite société mathématique. » (Brousseau, 1998, p. 112 - mes italiques). Les situations de validation jouent un rôle clé. Elles sont un moyen efficace pour la transformation de construits individuels en un objet de connaissance partagé qui pourra être reconnu collectivement et institutionnalisé par l’enseignant.e. La validité de cette connaissance est ainsi attestée, mais le plus souvent en laissant implicite les fondements de cette décision. L’accord est tacite. La preuve est un outil, elle n’est pas en elle-même l’enjeu de la situation—son objet. Cette possibilité limite la portée de ces situations pour l’apprentissage de la preuve. Pour lever cette hypothèque, il faut accéder au « schéma de validation explicite », le mettre en question, en reconnaitre les caractéristiques et les instituer ; alors la petite société de la classe peut prétendre être véritablement mathématique. Guy Brousseau utilise l’expression «situation de preuve » pour les situations de validation ayant ces caractéristiques, mais il ne développe pas la modélisation dans cette direction et n’y revient pas. Je reprendrai l’expression « situation de décision » qui désigne les situations de validation n’exigeant pas l’explicitation d’un schéma de validation explicite, elle facilitera l’identification des types de situations de validation et les caractéristiques qui les distinguent. 

La conclusion de l’exposé portera sur les questions ouvertes pour l’ingénierie de situations nécessaires à la genèse et la reconnaissance des normes de la preuve dans la classe de mathématique avant l’enseignement explicite de la démonstration.

mardi 12 janvier 2021

Remarks on truth, the word and more

This post has been written in the context of the preparation of a text on the teaching and learning of mathematical proof. I noticed some years ago that we need to have a discussion on what we mean by "proof". I now realized that "truth" may deserve some attention as well, especially in the context of expressing in one language what we think in another one.


Proof and truth are inseparable concepts, yet discussions on what can count as proof in the mathematics classroom develop as if the meaning of truth were clear. The meaning and nature of truth seem to be an irrelevant issue in mathematics where true and false are just the two elements of a set where propositions or predicates take value, while the questioning of these meanings and their nature is one of the central subjects of philosophy. As it happens, Kleene’s first chapter to his classic book Mathematical logic (1967) does not spend even a sentence on defining true and false, even though the introduction is dedicated to fixing the formalism of his first chapter. But mathematical logic is not the logic of mathematics insofar as the activity of mathematicians is not reduced to carrying out a formalism. “Actually, the criterion of truth in mathematics is the success of its ideas in practice; mathematical knowledge is corrigible and not absolute; thus, it resembles empirical knowledge in many respects”, wrote Hilary Putman in a brief paper entitled What is mathematical truth? (1975 p. 529). There is something radical in Hilary Putman’s position paper, but it is not without relevance for proceeding with the objective I have in the text I am preparing. More than a science, in the mathematical classroom, mathematics is a practice.

The meaning of the words “true” and “truth” in the mathematics classroom borrows its substance from the vernacular culture and the culture emerging from the interactions among students and with the teacher, and from their management. But, if students in higher education as well as mathematicians maintain a difference between the mathematical meanings of true and truth from the meaning of these words in other scientific practices or everyday life, this is not the case for K-9 learners. Early mathematical conceptualizations develop based on a vernacular culture, and one can reasonably claim that this lasts until the middle of the junior high school when mathematical proof starts to appear as such. Hence, my papers, written in English but first contemplated in French deserve to question whether the translation of the French vrai by the English true carries any semantic significance.

The etymology of true (n. truth), according to the Vocabulaire Européen des Philosophies (2004), goes back to a metaphorical origin in the word tree, which denotes firmness, steadfastness or faithfulness. Its evolution does not exclude this origin but includes other meanings among which are also certain, accurate, correct and mathematical meaning as well (i.e. logical necessity). The order of these meanings may vary from one dictionary to another, or from one edition of the same dictionary to another, but they are all still there. Today, the contemporary use of true/truth puts sincerity and reliability ahead of veracity (ibid. p.1350). Both notions underlie the first meaning proposed by the popular Oxford Advanced Learner’s Dictionary: “the truth [singular] the true facts about something, rather than the things that have been invented or guessed”. Then, a first example is given: “Do you think she's telling the truth?”

The etymology of vrai (n. verité) traces its origin back to the Latin word veritas whose paradigm is normative: it refers to the correctness and the validity of a rule; it is the legal truth that a legitimate institution locks and preserves (ibid. p.1342). The evolution of its meaning from the Middle ages to the contemporary epoch introduces the producer of the statements claimed true, with the assessment of their sincerity and correspondence – adequacy, conformity – to the thing. The latter dominates the former as witnessed by the popular French dictionary Le Robert which states: Vérité [n. f.] What the mind can and must give its assent to (as a result of a relationship of conformity with the object of thought, of an internal coherence of thought): sincerity is not absent but comes as the sixth and last meaning in the list.

I take the case of English and French, but in fact we must go beyond these cases by questioning the languages and background cultures of all research projects on the teaching and learning of mathematical proof. The epistemological differences silently shape research, while being aware of them should lead to a more sophisticated understanding of each other’s work and results. This is a general phenomenon known from research on comparative literature: “no philosophical argument or picture of the world can be divorced from the language, style, rhetoric, means of presentment and illustration in which it is stated” (Steiner, 1996, p. 157). In the case of mathematics, the publications and communications to which I have had access, do not suggest insurmountable conflicts or contradictions across the different cultures and history of truth: rather they present differences in the relative weights given to its various dimensions. We will benefit from being aware of the influence of these differences on the way we approach research.

Eventually, the investigation which started by noticing possible translation issues ends up inviting us to consider the vernacular epistemology as complementary to the attention classically paid to the role of the vernacular language. In other words, the tension between vernacular languages and the mathematical language – which we could pretend to be universal – should lead to questioning the culture that proof and truth carry with them, and despite which the socio-mathematical culture and norms must find their place in the school mathematics.

Confident in the wisdom of Donald Davidson’s (1996) warning that it is folly to try to define truth, I will not try to answer Hilary Putmann’s question, What is mathematical truth?, not even limiting its scope to the sole purposes of research in mathematics education. But the word truth and the concept it labels, do not stand alone; it is tightly related to the concept that the word proof refers. I am willing to take this relation into account, and I concur with Viviane Durand-Guerrier (2008, p. 373) when she asserts the “relevance of the distinction and relationship between truth and validity in mathematical proof for mathematics education”, taking on board the differences between common sense and mathematical logic, and generally “emphasizing the articulation between syntax and semantics” (ibid.). Her argumentation builds upon Alfred Tarski’s (1944) solution to “[the problem of] giving a satisfactory definition of [truth], i.e., a definition which is materially adequate and formally correct.” (ibid. p. 341). Tarski first defines satisfaction: “given objects satisfy a given [sentential] function if the latter becomes a true sentence when we replace in it free variables by names of given objects” (ibid. 353). Then comes the definition “of truth and falsehood simply by saying that a sentence is true if it is satisfied by all objects, and false otherwise” (ibid.) Tarski’s definition grounds the deduction theorem which bridges syntax and semantic, truth and validity. But, taking this perspective is not enough in the case of early learning since this definition requires that sentences are elements of “[a language] whose structure has been exactly specified.” (ibid. p. 347). Yet we know it is not the case for language at work at the K-10 level.

To clarify the consequence of having at stake such a teaching context – but even though it may still hold beyond this – I adopt the distinction made by John Langshaw Austin between statement and sentence:

“A statement is made and its making is an historic event, the utterance by a certain speaker or writer of certain words (a sentence) to an audience with reference to an historic situation, event or what not.
A sentence is made up of words, a statement is made in words. A sentence is not English or not good English, a statement is not in English or not in good English. Statements are made, words or sentences are used. We talk of my statement, but of the English sentence (if a sentence is mine, I coined it, but I do not coin statements).” (Austin, 1950, p. 3)

The utterance of a statement requires words and a good command of linguistic rules to produce a sentence true to the communication objective which underpins it; this objective includes semantic adequacy and formal correctness. But, paraphrasing Donald Davidson, we know that most students may not speak the language for which mathematical truth has been defined (ibid. 1996, p. 277). They have to learn the language of mathematicians, becoming aware of the way it deals with mathematical objects, properties and relationships, which are involved throughout the mathematical activity. Acquiring this linguistic competence is key for the success of learning. Moreover, John Langshaw Austin’s introduces a speaker and an audience, in other words the intentional character of the speech act uttering truth, and its social dimension. Hence, aside from coherence and correspondence, the hypothesis – more often than not implicit – of sincerity and steadfastness of the speaker and of the audience must be included.

Although this discussion may be somewhat limited, it sheds light on the difficulty of comprehending the meaning of the words true/truth when taking a step beyond mathematical logic while remaining within the mathematical territory – of which learning mathematics is part. While mathematics as a scientific discipline is universal, mathematical activity is diverse. It embraces the cultural, historical and contextual characteristics of the society in which it develops. This is even more so for its learning and teaching, which are situated mathematical activities framed by institutions and political projects of a society.

I will not dare a definition but I propose four conditions on a sentence to be held true: 

  • to be ethically minded (sincerity, reliability)
  • to be linguistically appropriate (statement vs sentence)
  • to be semantically adequate (correspondence)
  • to be formally correct (coherence)


Based on what research has shown so far, we can tell that these conditions will not have the same importance within the transition from argumentation at the earliest learning stages to mathematical proof. Nevertheless, these should be considered and assessed against the level of students’ acculturation to the mathematical practice. I suggest that we ought to take on such epistemological and didactical perspectives to revisit the classical issue of defining mathematical proof in order to fit the needs of mathematics learning and teaching. 

Aknowledgements: many thanks for their valuable feedback  to Viviane Durand-Guerrier, Patricio Herbst, Joel Hillel, and Richard Noss.

mercredi 4 novembre 2020

Les données, un construit de la recherche

Texte préparé avec Nadine Mandran pour le weekend jeunes chercheurs 2020 (WEJCH2020)

Avertissement : ce résumé est un document de travail. Le choix est de proposer, avant le weekend jeunes chercheurs° en didactique des mathématiques, un cadre pour penser la question des données. Des exemples seront proposés repris d’un cas étudié par l’un des auteurs, des travaux des étudiants, ou d’articles publiés.
Les paragraphes ont été numérotés pour faciliter la référence dans des commentaires éventuels de ce billet de blog.
1. Nous nous plaçons dans le cas d’un projet—ou d’une thèse—dont le sujet est déterminé, sans ignorer la complexité et les exigences du choix d’une problématique en amont, ni le travail nécessaire à son expression. Ce qui suit décrit le cadre général de notre contribution dont l’essentiel est de mettre en perspective la notion de « donnée » dans nos recherches.
2. La didactique des mathématiques rassemble une diversité de problématiques parmi lesquelles nous retiendrons celle, séminale, de la recherche « des conditions spécifiques de l’acquisition provoquée des connaissances mathématiques » (Brousseau, 1994, p. 51). Il s’agit de produire des connaissances à finalité professionnelle sous les contraintes d’une réalité à la fois épistémique, sociale et humaine. Cette recherche est de nature expérimentale : les connaissances qu’elle produit doivent leur légitimité scientifique à une validation phénoménologique.
3. Le schéma commun de la communication d’une recherche, par exemple sous la forme d’un article ou d’une thèse, dans la problématique qui nous intéresse ici, comprend classiquement un cadre théorique, le problème (question ou hypothèse), l’état de l’art, la construction d’un dispositif d’observation et les conditions de sa mise en œuvre, les données et leur analyse. Tous ces éléments sont rassemblés et organisés au service de la validation d’un résultat, un terme que nous ne discuterons pas bien qu’il soit la source et le critère de l’intérêt porté à la notion de donnée.

Théorie, modèle, expérience

4. La prééminence du cadre théorique tient à ce qu’il détermine la formulation du sujet de la recherche en l’insérant dans un champ conceptuel, en reprenant le terme de Gérard Vergnaud, c’est-à-dire un espace de problèmes et de connaissances qui mobilise des représentations, des relations et des procédures organisées en un système explicite et cohérent. Le cadre théorique n’est que très exceptionnellement réduit à une théorie. Au contraire, il en articule plusieurs pour rendre compte de la complexité du sujet ou pour dépasser des limitations intrinsèques à une théorie particulière. Ainsi, théorie des situations didactiques, champ conceptuel, dialectique outil-objet, registres sémiotiques, et d’autres encore, pourront être associées pour saisir le sujet de la recherche et, en quelque sorte, le modéliser. La modélisation permet d’articuler les théories, elle est de plus l’outil pour les mettre en relation avec le référent phénoménal, la classe.

5. Le modèle instancie les concepts théoriques et leurs relations, il établit des liens entre théories. Le schéma des espaces de travail mathématique, proposé par Kuzniak, est un exemple de générateur de modèles qui articule les « plans épistémologique » et « cognitif », l’approche instrumentale et sémiotique. Un tel modèle est un outil pour créer une représentation décontextualisée, au sens de l’abstraction d’un problème ou d’une situation d’apprentissage, en les projetant dans les différents plans théoriques. La théorie des situations didactiques propose des moyens explicites de modélisation de situations qu’elle qualifie et relie.  
6. La construction d’un modèle est une tâche indissociable d’une recherche expérimentale. Cette construction est souvent implicite, sous-jacente à celle d’un schéma expérimental basé sur des « réalisations didactiques » en classe comme l’exprime la définition classique de l’ingénierie didactique ; ce faisant, elle prive la recherche à la fois d’une possibilité de résultat, le modèle, et de celle de la remise en question de l’un de ses éléments clés. L’explicitation du modèle permet de le détacher des circonstances contingentes de sa réalisation sous les contraintes d’une réalité dont la complexité dépasse la problématique didactique. Elle permet de lui faire jouer pleinement son rôle instrumental dans la recherche expérimentale et celui de médiateur avec le cadre théorique. 

7.
L’instanciation du modèle dans une réalité scolaire, qu’il s’agisse de celle de l’institution elle-même ou d’un contexte aménagé—assimilable à des conditions de laboratoire, est la phase la plus fragile et délicate de la recherche. Il s’agit de l’expérience qui donne accès à l’observation et donc au recueil des données.  
8. L’autre enjeu du lien entre amont théorique et aval expérimental est la possibilité de poser précisément le problème de la réplicabilité de l’expérience et de la reproductibilité des observables. C’est l’enjeu fondateur et déontologique de toute recherche scientifique. 

Méthode, observation, données

9.  L'ingénierie didactique est la méthode canonique de la recherche pour la problématique dans laquelle nous nous plaçons. Comme le souligne Michèle Artigue (1996, p. 247), elle se caractérise par « la conception, la réalisation, l'observation et l'analyse de séquences d'enseignement ». Sans rejeter cette acception, nous suggérons de distinguer l’ingénierie didactique stricte qui produit un modèle et spécifie l’expérience (schéma expérimental) de l’observation, et donc du recueil de données sur lesquelles porte l’analyse. 
10. Le modèle produit par l’ingénierie didactique tire sa justification du cadre théorique dans lequel il est construit et de sa capacité à anticiper l’expérience—c’est-à-dire ce qui sera l’objet de l’observation—et donc détermine le recueil des observables en les désignant a priori ou a posteriori parmi tous les événements qui s’offre à l’attention de l’observateur. 
11. La spécification des observables et leur potentialité expérimentale est le rôle de l’analyse a priori. IL s’agit, d’une part de déterminer les comportements significatifs qui seront favorisés ou disqualifiés, et d’autre part d’identifier les caractéristiques du modèle qui leurs sont hypothétiquement associées. Pour cela, l’analyse a priori doit proposer des indicateurs tangibles—observables comportementaux, verbalisations, productions—qui sont les éléments focaux de l’observation.

Corpus, données, analyse

12. Ainsi les données sont-elles un construit de la recherche aux racines profondes. Leur identification dans le cours de l’observation et leur recueil est souvent difficile tant il est fragilisé par les effets de conditions de la réalisation effective—souvent qualifiées d’écologiques—de l’expérience. Cette réalisation en classe est soumise à des contraintes multiples qui peuvent en modifier les caractéristiques, le sens et les enjeux. La recherche dans le vif de la démarche expérimentale et l’enseignement dans la dynamique de sa mise en œuvre diffèrent en termes d’objectif et de responsabilité. Cette complexité requiert de documenter les étapes et les détails de d’organisation et d’en suivre précisément le déroulement afin de pouvoir examiner a posteriori la qualité de l’observation et des données ; nous parlerons de traçabilité des données. Il faut pour cela une procédure et un langage (Mandran, 2017, p. 21)  
13. La mise en œuvre de l’expérience mobilise des enseignants, des élèves, l’accord de l’institution scolaire et celui des parents le cas échéant. Les multiples problèmes rencontrés ont rarement une réponse simple. En fait, c’est très souvent sur la base du volontariat de proches ou le hasard d’opportunités heureuses que la classe est ouverte pour la recherche. Cette précarité fréquente est peu interrogée, elle pose la question du corpus et celle des limites que sa qualité impose à la pertinence et la qualité des données. 
14.
L’analyse des données mobilise une part très importante des ressources d’un projet de recherche. À la distinction classique entre analyse qualitative et quantitative, il faut ajouter dans la problématique que nous avons retenue l’analyse a posteriori qui interroge les données à l’aune du modèle et de l’analyse a priori ; c’est cette dernière qui spécifie les observables recherchées lors de l’observation. Le modèle permet de remonter vers le problème et le cadre théorique qui donnent du sens au traitement des données ; c’est-à-dire qui constitue le produit de ce traitement en un résultat.

 Conseil aux jeunes chercheuses et chercheurs

15. La rédaction du premier article—ou celle de la thèse—est un moment initiatique de la vie du chercheur°. La décision de publier peut avoir des raisons multiples, nous ne retiendrons ici que celle d’ordre scientifique : l’existence d’un résultat. Comprendre ce qui constitue le résultat d’une recherche est probablement le plus difficile pour un jeune chercheur°, mais pas que pour lui ou elle…

16. Au fil des évaluations d’articles et des rapports de thèse, il est souvent constaté que la conclusion de la publication est souvent une synthèse de l’analyse des données. L’effort et la mobilisation des ressources pour les réunir et les traiter tend effectivement à les mettre en avant en perdant de vue les raisons même de la recherche. Décider et expliciter ce qui constitue le résultat, c’est identifier ce que la recherche a apporté aux connaissances, aux méthodes ou aux théories mobilisées dans la problématique choisie.

17. Le rôle de l’état de l’art est de préparer la démonstration de l’existence d’un résultat, et donc de la pertinence de la question et de la recherche. Il est important a priori pour s’engager dans la recherche, et essentiel a posteriori pour légitimer son produit.

18. La rédaction de la communication doit parcourir le chemin inverse de celui de la recherche en ne retenant que ce qui est nécessaire à la validation de son produit et sa constitution en résultat. Cette stratégie assure de ne pas perdre le lien avec le cadre théorique et le sujet de la recherche, elle préserve le sens des données et de leur analyse.

Artigue, M. (1996). Ingénierie didactique. In J. Brun (Éd.), Didactique des mathématiques (p. 243‑274). Delachau et Niestlé.

Brousseau, G. (1994). Perspectives pour la didactique des mathématiques. In M. Artigue, R. Gras, C. Laborde, & P. Tavignot (Éd.), Vingt ans de Didactique des mathématiques en France (p. 51‑66). La Pensée Sauvage.

Mandran, N. (2017). THEDRE : Langage et méthode de conduite de la recherche. Thèse, Université Grenoble Alpes.


mardi 31 mars 2020

The transition from mathematical argumentation to mathematical proof, a learning and teaching challenge


https://www.icme14.org/static/en/index.html
Due to the development of the DOVID-19 pandemic, ICME-14 has been postponed by one year, probably until next summer 2021. Indeed, no body knows what the future will be like. So, I chose to share there the abstract of my lecture. Be life kind enough to allow me to attend ICME-14 whenever, wherever. 

Comments and questions on this post will be much appreciated. They will contribute to my reflexion which continues on the mathematical status of argumentation.

Mathematical proof is the backbone of mathematics as a scientific discipline. All along the 20th century, the meagre success of its teaching prompted most of the decision makers to postpone it until children have achieved a certain cognitive development. Research outcomes of the last decades suggest that the teaching challenge can be overcome, hence the nowadays wide consensus that mathematical proof ought to be part of curricula at whatever grade from kindergarten to university. To properly express this objective requires finding an adequate characterization of proof and the right words while one has been accustomed to using several different ones as mere synonymous.
First, I suggest to slightly change the didactical problem from learning proof to understanding how can be asserted the truth value of a statement in mathematics at different grades. This requires to tighten the links between problem-solving and proving, as well as between knowing and proving. I develop this position focusing on three terms: control, argumentation and proof. The choice of these terms intends to denote three regimes of validation whose respective weights change along the continuum from solving a problem to communicating its solution according to the mathematics standards in force at a given grade. 
Second, I shall shape the relations between argumentation and proof from an epistemological and didactical perspective. Doing this, I will pay attention to our linguistic, cultural and epistemological differences.
Although the historical roots of mathematical proof could give it legitimacy, the concept of mathematical argumentation will be a didactic concept and not the transposition of a mathematical one. The inherent social nature of argumentation would otherwise make a lasting impact on the understanding of mathematical proof. Although being the product of a human activity which certification is the outcome of a social process, a mathematical proof is independent of a particular person or group. The standardization of proof in mathematics, in addition to the institutional character of its theoretical reference, entails its depersonalization, decontextualization and atemporality. While argumentation is intrinsically dependent on an agent, individual or collective, and is “situated”.

Eventually, the characteristics of mathematical argumentation must not only distinguish it from other types of argumentation in order to manage its evolution to mathematical norms, but it must also be operational when it comes to arbitrating students' proposals in order to organize and capitalize on them in the classroom knowledge base. How, for example, can be arbitrated the case of the generic example that balances the general and the particular; a balance found at the end of a contradictory debate seeking an agreement which should be as little as possible a compromise?