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jeudi 16 janvier 2020

Échec ? Célébrons ensemble le rebond !

http://grenoble.thefailcon.com/index.html
Une conférence sur l'échec, ce n'est pas commun. Eh bien, tel est le thème de la FailCon dont le but est de "dédramatiser l’échec, d'échanger et d'apprendre des erreurs des autres, pour mieux réussir". A l'appel enthousiaste des organisateurs, "célébrons ensemble le rebond de l'entrepreneur !", les  participants sont invités à réfléchir sur l’échec sous des angles multiples et différents, "aussi bien dans la recherche que dans l’entrepreneuriat, mais aussi avec l’œil de l’investisseur ou encore le regard d’un arbitre international." 

Cette année, la FailCon Grenoble est dédiée à l'éducation. J'ai hésité à répondre à l'invitation, mais au fond c'est une bonne idée. Il n'est peut-être pas trop tard pour ce poser des questions après plusieurs décennies de recherche marquées par des échecs et quelques succès. Ces derniers font l'objet de publications, mais les premiers ont peu de place dans la biographie officielle. Pourtant ce sont ces échecs qui m'ont appris la complexité de mon domaine, la didactique des mathématiques et les EIAH, pluridisciplinaire par nature, dont le champ d'étude est sous les contraintes toujours en tension de l'institution scolaire et de l'institution universitaire, de la pratique de l'enseignement et de celle de la recherche. L'échec de l'un de mes projets m'a particulièrement marqué. Son thème et sa justification--mettre en place une place une plateforme d'enseignement à distance pour les enfants hospitalisés—m'obligeaient à réussir. C'était au milieu des années 90, les difficultés en ont eu raison à bas bruit. Quelles leçons, humaines et professionnelles, en tirer ?


La FailCon-Grenoble éàéà s'est tenue le 21 janvier dans les locaux de l'IAE sur le campus, retrouvez toutes les informations ici : FailCon Échec et éducation.

jeudi 15 février 2018

Une vie pour l'apprentissage des mathématiques et la pensée informatique

Mathématicien et pionnier des technologies éducatives, Seymour Papert a contribué de façon décisive à l’orientation des recherches sur les environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH). Son œuvre est à l’origine d’un courant de recherche international sur l’apprentissage des mathématiques avec lequel la recherche en didactique des mathématiques entretient des relations – que l’on pourrait qualifier de dialectiques – depuis le début des années 80. Victime d’un accident en 2006 à Hanoï, où il était l’invité d’une conférence de la 17° étude ICMI2 sur l'utilisation des technologies numériques dans l'enseignement et l'apprentissage des mathématiques, Seymour Papert a dû brutalement interrompre son activité académique. Il est décédé le 31 juillet 2016.

La revue Recherches en Didactique des mathématiques a souhaité lui rendre hommage, c’est le sens du texte que j'ai proposé pour le numéro 37/2-3 qui vient de paraître. Après avoir évoqué des jalons importants de la vie scientifique de Seymour Papert, ce texte revient sur deux concepts clés, micromonde et constructionisme, qui constituent les piliers fondateurs de son œuvre.

Papert lors de l'ouverture officielle du London Knowledge Lab (début à 14min 15s)

L’héritage de Papert est bien vivant, et l’exploration des voies qu’il a ouvertes est prometteuse. Un Lutin m'a suggéré avec malice de conclure par une citation ; clin d’œil et manière  d’invitation :
"What make our century’s science thinking different from any other century are the ideas associated with computation, computers and information science, and the idea that we should  give children this powerful thing they care about more than anything else, that they ought not to know what goes on inside it - it blows the mind." (Papert 2004)

jeudi 10 décembre 2015

Serious games, conjugaison de jeux d'apprentissage et de jeux de la connaissance

La notion de jeu est l'une des premières composantes de la construction de modèles dans le cadre de la théorie des situations didactiques (TSD):
"Modéliser une situation d'enseignement consiste à produire un jeu spécifique du savoir visé, entre différents sous-systèmes : le système éducatif, le système élève, le milieu, etc." Mais, écrit Brousseau (1986/ in 1998 p.80), "Il ne s'agit pas de décrire précisément ces sous-systèmes autrement que par les relations qu'ils entretiennent dans le jeu."
- Au regard de la connaissance : "le jeu doit être tel que la connaissance apparaisse sous la forme choisie, comme la solution, ou le moyen d'établir la stratégie optimale [...]" (ibid. p.80)
- Au regard de l'activité d'enseignement :"le jeu doit permettre de représenter toutes les situations observées dans les classes (sinon les déroulements particuliers) même les moins satisfaisantes dès lors qu'elles parviennent à faire apprendre à des élèves une forme de savoir visé. Il doit pouvoir engendrer toutes les variantes, même les plus dégénérées. Elles seront obtenues par le choix des valeurs de certaines variables caractéristiques de ce jeu." (ibid. p.81)
Ainsi le jeu, source de motivations, peut par ses règles, ses représentations et ses stratégies,  accompagner l'apprenant vers la connaissance enjeu de l'apprentissage.

Le diaporama ci-dessous a servi de support à un exposé introductif à une discussion lors d'un séminaire de l'équipe MeTAH en juin 2010 sur le thème des jeux sérieux. Il met en relation la problématique du jeu au sens de la TSD et la problématique des jeux sérieux.


lundi 30 mars 2015

cKȼ, un modèle de connaissance : spécificité et utilisations

Le laboratoire de didactique André Revuz (LDAR) m'a invité dans le cadre de son séminaire avec un objectif très précis : expliquer les spécificités du modèle de connaissance cKȼ dans le paysage didactique et donner des exemples de son utilisation.  Le résumé de présentation de ce séminaire est tout simplement l'explicitation de cette demande :

"Plusieurs approches théoriques de la connaissance sont mises en oeuvre au sein du laboratoire LDAR, dont des modèles de conceptions, mais les discussions ou exposés à propos de cKȼ soulignent deux difficultés : comprendre les articulations entre cKȼ et les autres approches théoriques, et comprendre ce qu'apporte son utilisation --- en d'autres termes, la question qui se pose est celle de ce qu'on peut attendre de ce modèle en temps que chercheurs. Ces questions semblent plus fortes que des problèmes liés à la technicité du modèle, à proprement parler. Il peut donc être intéressant, et c'est ce que va être tenté, de préciser les hypothèses aux fondements de cKȼ (quel sujet est concerné, quelles hypothèses sur la connaissance...), ses finalités, ainsi que des usages dans différentes directions, permettant de voir son utilisation "en situation" et de cerner ses apports."

L'exposé en cours de préparation comprendra trois parties : (1) la problématique du modèle cKȼ dans le cadre de la théorie des situations didactiques, (2) les hypothèses sous-jacentes à la construction du modèle, (3) la situation du modèle par rapport à d'autres modèles ou théories incluant les problématiques de modélisation de l'apprenant en informatique, (4) une discussion du modèle y compris celle des apports qui pourraient être portés à son crédit.

Le séminaire aura lieu le Vendredi 10 avril 2015, 14h-17h Salle 247E, 2e étage - bât. Halle aux Farines, Paris 13e

Le contenu de l'exposé est pour une part bien décrit dans : Balacheff N., Margolinas C. (2005) cK¢ Modèle des connaissance pour le calcul de situation didactiques. In : Mercier A. & Margolinas C. (eds.) Balises pour la didactique des mathématiques. (pp.1-32). Grenoble : La Pensée Sauvage.

vendredi 9 janvier 2015

Visite à l'UPN, Mexico

Je ne pouvais passer à Mexico en ce début d'année sans rendre visite à Veronica Hoyos à l'Université Pédagogique Nationale (UPN). Notre premier contact remonte au début des années 90, à l'occasion de son long séjour post-doc à Grenoble. Didacticienne des mathématiques, Veronica était intéressée par les EIAH, tout particulièrement Cabri-géomètre. Son intérêt s'est maintenu et a évolué au fil de l'actualité, aussi m'a-t-elle demandé de donner un point de vue sur l'enseignement à distance (en mathématiques et dans le contexte de la formation des maîtres) à l'ère des MOOC ; ce que j'ai fait en accentuant cette fois les aspects liés à la représentation des connaissances et à l'interaction entre les élèves et les enseignants par l'entremise des dispositifs informatiques. Un long séminaire, beaucoup de questions, un beau moment de rencontre dont nous publierons ensemble (en espagnol) les principaux éléments dans les mois qui viennent.


mardi 14 octobre 2014

EIAH, le mots de la recherche (suite)

Ainsi que je l'ai annoncé dans un billet précédent, le 13 octobre, dans le cadre du projet EducMap (PEPS CNRS), Luc Trouche et Olivier Rey ont organisé à l'IFé (ENS de Lyon) le second séminaire "pour une cartographie dynamique des recherches en éducation". J'ai présenté le méta-projet TEL Thesaurus, ses objectifs, sa structure et son état actuel. Je ne sais si cela aura une suite, mais la qualité des échanges de cette journée laisse quelques espoirs.
Par ailleurs, la récente labellisation par l'ANR du projet de réseau de recherche Orphée offre de bonnes perspectives d'avancer significativement la constitution du thésaurus et du dictionnaire des termes de la recherche en EIAH (en anglais, lire TEL voire EdTech).
Je compte que la discussion s'engage rapidement et que des chercheurs intéressés se manifestent pour contribuer à cet effort.



écouter

lundi 29 septembre 2014

Les moocs ou le surgissement de l'économie (libérale)

Le boom des MOOC en 2012 est d'abord un phénomène économique et médiatique, bien qu'il soit souvent identifié comme une révolution pédagogique et un défi lancé aux universités dans les débats et polémiques qui fleurissent à son sujet depuis lors. Invité à donner un point de vue sur l'évolution de l'enseignement à distance lors du "Forum international d’éducation ouverte et en ligne" des entretiens Jacques Cartier (2-3 octobre 2014 à Ottawa), je ne pouvais ignorer les MOOCs, aussi en ai-je fait le point focal de ma présentation. J'en suis venu à la conclusion que d'une part l'enseignement à distance a évolué silencieusement vers ce que j'appellerais les espaces d'apprentissage. Cette évolution a été suscitée par celle des outils, de la distribution et l'interconnexion des ressources, ainsi que le développement des réseaux sociaux. Dans ce contexte, les moocs ne se distinguent que par deux caractéristiques : une durée et une fin liées à la disponibilité des enseignants, et l'échelle potentielle du déploiement. Ils occupent, en complément ou synergie avec d'autres solutions, une place particulière qui les met en concurrence avec le cours oral. Ils ont un fort potentiel pour imposer dans ce créneau un standard : séquences vidéo courtes couvrant un sujet, stimulation de l'écoute attentive (QCM) et support des réseaux sociaux pour l'étude. D'autres standards émergeront de l'industrialisation de l'offre, le besoin d'interfaces et de procédures stables, ainsi que des exigences de jugement des certifications que l'on voudra comparer ou valider.

Les certifications... finalement, au terme de ma réflexion pour préparer cet exposé, le plus frappant aura été de comprendre que la source à la fois des espoirs et des inquiétudes est que les moocs font du diplôme, du certificat ou du "badge" des produits sur le marché de l'éducation et de la formation. Dans ce contexte, l'enseignement serait un moyen dont la valeur est celle de la qualification à laquelle il donne accès. L'économie pourrait alors imposer un standard comme cela est le cas pour d'autres produits...

Entretiens Jacques Cartier
Forum international d’éducation ouverte et en ligne
Jeudi 2 et vendredi 3 octobre 2014, Ottawa

mercredi 10 septembre 2014

À l’ère des MOOC, les universités ont encore un bel avenir

Billet rédigé dans le cadre de la préparation de ma contribution au forum international sur l’éducation ouverte et en ligne organisé dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier début octobre.

Ne pas s’engager dans la voie des moocs pourrait-il être fatal aux universités ? La question revient régulièrement dans la presse et les débats sur ces nouveaux venus dans la pédagogie universitaire. On peut comprendre que, dans un premier temps, la réponse ait pu être positive. La principale raison tient moins à la conviction que les moocs deviendraient le modèle et l’outil de l’enseignement universitaire, qu’à l’émotion suscitée par l’écho dans les médias des premiers succès d’audience, de la mobilisation de capitaux-risqueurs en général peu actifs dans le domaine de l’éducation, et de l’engagement d’universités prestigieuses. Un peu de recul, même celui tout relatif de deux années, suggère une réponse nettement moins tranchée en affirmant d’une part que les moocs ne seront pas le standard de l’enseignement universitaire mais que d’autre part ne pas les prendre en compte comme un outil possible serait fautif et, dans certains cas, pénalisant.

La mission des universités, quelle que soit la structure du système national dans lequel elles opèrent et les modèles économiques associés, est de contribuer à la création de la connaissance et de dispenser un enseignement en relation forte avec cette activité de recherche. Le fond de cette relation ne réside pas dans le texte du savoir que le professeur apporte, un livre ou le film d’un exposé peuvent s’en charger, mais dans la possibilité d’accéder à la compréhension qu’il en a. Cette compréhension est forgée dans une relation intime avec les savoirs, qui évolue dans le temps au fil de sa pratique de la recherche et de l’enseignement. C’est ce champ de la signification que laboure l’enseignant universitaire avec ses étudiants avec pour responsabilité de maitriser savoirs et savoir-faire et d’apporter les moyens de l’apprentissage.
Office Hours
Times when I am available to see students for personal tutorials and topical tutorials. Please re-check this page a day or two before you intend to come as changes to dates & times may be inevitable. My office is HWB 0/52 on the ground floor of the Henry Wellcome Building down the corridor to the right of the deli-bar counter.
L’évolution des universités, ou plus précisément de l’enseignement supérieur, au cours du XX° siècle, est marquée par la “massification” de son public étudiant et la responsabilité d’apporter des compétences professionnelles attendues par le monde industriel et économique. Ainsi, la distance entre l’enseignant et le professeur a-t-elle pu s’accroitre, comme celle entre enseignement et recherche, et le modèle du cours se rigidifier jusqu’à prêter le flanc à la caricature que les plus savants qualifient de béhavioriste. C’est dans ce contexte que les moocs de la première génération, ceux du connectivisme, s’affirment comme les instruments d’un retour aux raisons d’être initiales de l’université :
“MOOCs, on the other hand, share the processes of knowledge work, not just the products. Facilitators model and display sensemaking and wayfinding in their disciplines. They respond to critics and challenges from participants in the course. Instead of sharing only their knowledge as is done in a typical university course, they share their sensemaking habits and their thinking processes with participants.” (McAuley et al. 2010)
Il s'agirait donc de relever un vieux défi, celui de créer les conditions qui, au-delà de la « communication » des savoirs, permettent la « construction » du sens -- en d’autres termes, enseigner sans instruire. L’utilisation du mot « facilitateur » préféré à « professeur » est la marque d’une posture idéologique antiautoritaire, mais au fond c’est bien la figure de l’enseignant universitaire qui est présente. Il est la référence avec tout ce que cela implique de compétence et de responsabilité. Cette légitimité ne peut-être auto-déclarée, elle trouve son origine dans la communauté scientifique et l’institution universitaire, ainsi que dans une pratique exigeante de la recherche. Les moocs n’ont rien en eux-mêmes qui contribue à fonder cette légitimité, ils sont des instruments dont l’efficacité et la qualité sont clairement dépendants de celles des opérateurs humains (professeurs, tuteurs, guides ou facilitateurs).
La place que je donne ici à la légitimité du professeur, qu’il instruise ou facilite l’apprentissage, serait peut être contestée par les inventeurs du connectivisme qui déclarent comme premier principe de cette théorie :
“Learning and knowledge rests in diversity of opinions.” (Siemens 2004, retrieved 140910)
Distinguer « savoirs » et « opinions » est une affaire sérieuse qui ne souffre pas le compromis. Les savoirs scientifiques et techniques sont réglés par des principes de validité – je n’ai pas écrit « vérité » -- qui peuvent être discutés mais dont il est exigé qu’ils soient explicites et publiques, ouverts aux débats contradictoires. Il revient aux communautés responsables des différentes disciplines d’attester des consensus et divergences, et aux institutions universitaires de donner un cadre en quelque sorte juridique et administratif qui acte les arbitrages. Cela n’exclut pas les opinions mais leur donne une place précise dans le débat et la construction des savoirs.

L’université est le lieu où l’on apprend, mais aussi l’institution qui atteste de la qualité et de la validité de cet apprentissage. Diplômes et certificats sont indissociables de la mission universitaire (ce qui n’exclut en aucune manière ce que l’on appelait naguère les « auditeurs libres »). L’évaluation est ainsi une problématique aussi importante que celle de l’apprentissage dans la mission des universités ; évaluation des étudiants, mais aussi celle des moyens et celle des enseignants en charge de leur mise en œuvre. Sur ce terrain les moocs apportent peu de solutions et encore moins d’innovation. Les moocs connectivistes évitent finalement le problème en l’ignorant ou le minimisant, les autres moocs se retournent vers des institutions habilitées dont les universités dans les domaines qui leurs reviennent.

En conclusion, les moocs ne menacent pas les universités sur le terrain qui est le leur parce ce sont elles qui leur apportent légitimité et fiabilité comme instruments d’apprentissage. Le maintien de la proximité humaine entre enseignants et étudiants, avec pour les premiers une légitimité attestée, signifie dans des dispositifs « massifs » un grand nombre de personnels dont les compétences nécessaires sont celles que l’on trouve aujourd’hui dans les universités. L’utilisation des termes « facilitateurs » ou « tuteurs » tendent à le masquer par un effet rhétorique qui doit être dénoncé. Cela ne signifie pas qu’il faille se désintéresser des moocs, de leurs implications économiques ou pédagogiques. Je reviendrai sur ces dernières. Mais il faut les considérer comme des instruments qui augmentent ou complètent la panoplie des technologies actuellement disponibles. Bref, les universités ont encore de beaux jours devant elles, même si elles doivent évoluer au plan structurel et pédagogique, mais cela est la caractéristique de tous les organismes vivants.

[à suivre]

mercredi 3 septembre 2014

Du MOOC au mooc, la banalisation d'un sigle

Billet rédigé dans le cadre de la préparation de ma contribution au forum international sur l’éducation ouverte et en ligne organisé dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier début octobre.

http://www.dunod.com/loisirs-scientifiques-techniques/ouvrages-generaux-dictionnaires/les-moochttp://www.dunod.com/loisirs-scientifiques-techniques/ouvrages-generaux-dictionnaires/les-mooc
Le Monde, Télérama et bien d’autres journaux encore donnent une bonne place aux MOOCs pour inaugurer cette rentrée scolaire et universitaire. Les MOOCs… dernière révolution technologique promise dans le monde de l’enseignement et de l’apprentissage. Enfin… révolution crainte et promise au moment de leur apparition dans le ciel médiatique en 2012, mais probablement à considérer avec plus de nuances après deux années de mobilisation politique et polémique. C’est du moins ce que l’on pourra retenir après la lecture de l'ouvrage « Les MOOC conception, usages et modèles économiques » signé par Jean-Charles Pomerol, Yves Epelboin et Claire Thoury chez Dunod.

Qu’est-ce qu’un MOOC ? Les auteurs apportent une réponse claire et documentée malgré toute la difficulté que l’on peut avoir à prendre le recul nécessaire pour comprendre un phénomène au cœur de l'Actualité éducative mais pas encore passé dans l'Histoire.

Le sigle MOOC (pour Massive Open Online Course) a été forgé à la hâte en 2008 alors que Georges Siemens ouvrait un « cours » en ligne connectiviste sur le connectivisme… Le choix rend compte de l’étonnement devant le succès d’audience de ce cours plus que de son originalité qui est de mettre en œuvre les principes de la théorie en question, notamment : « Learning and knowledge rests in diversity of opinions », « Learning is a process of connecting specialized nodes or information sources ». Il n'y avait donc pas d'obstacle à la reprise de ce même sigle pour désigner un type d’enseignement en ligne totalement différent, un cours d’introduction à l’intelligence artificielle de Sebastian Thrun, dont le succès d’audience est tel que son auteur quitte Stanford pour créer Udacity. Cette fois ce n’est pas la technologie ou la pédagogie qui est le moteur de « l’innovation » mais la perspective économique. D’ailleurs, s’agit-il d’innovation ?

L’analyse de Pomerol et de ses collègues suggère que les MOOC sont dans la continuité du eLearning sous l’impulsion du développement des réseaux sociaux et de celui des ressources pédagogiques en libre accès (OER). Cette évolution a aujourd’hui deux branches principales : celle d’une (possible) mutation épistémologique dont l’idée est défendue par Georges Siemens, ou cMOOC, et celle de la mutation du cours magistral en un produit sur le marché de l’enseignement et de la formation, ou xMOOC. En fait, pour ces derniers, il n’y a pas de format figé et imposé a priori même si on peut relever que dominent dans les premières offres les enregistrements de cours magistraux découpés en tranches assez fines alternées avec des évaluations le plus souvent sous forme de QCM ; sorte de thian pédagogique que pourraient assez bien accompagner des learning nuggets. Il est probable que la distinction savante entre cMOOC et xMOOC ne tiendra pas dans la durée. Déjà, notent les auteurs, apparaissent les propositions de iMOOC (orienté investigation), pMOOC (orienté projet) ou tMOOC (orienté tâche).

Après cette lecture, je pense que le mot mooc survivra dans le vocabulaire commun pour désigner une nouvelle génération de produits pour l’apprentissage en ligne associant pleinement les réseaux sociaux dans un environnement technologique tolérant un très grand nombre d’utilisateurs. C’est un peu moins que la définition minimale de Christian Queinnec, que retiennent les auteurs, qui inclut l’accompagnement de la formation par une évaluation, mais un peu plus que cela en requérant la capacité d’assurer un usage « massif  » (il faut bien garder quelque chose du sigle initial).

Mais si un mooc n’est que cela, pourquoi tant d’émotion en 2012 lorsqu’ils sont remarqués par la presse internationale. Les raisons ne me paraissent pas tenir à l’importance de l’innovation pédagogique, mais à la crainte des institutions de formation qui n’auraient pas su prendre le virage d'être marginalisées. En particulier, la « lenteur » des universités à s’engager dans ce mouvement pourrait-elle leur être fatale ?
Mooc [muːk] n. m. dispositif d’apprentissage en ligne associant pleinement les réseaux sociaux dans un environnement technologique tolérant un très grand nombre d’utilisateurs -- Étymol. et Hist. 2008 Empr. à l'anglo-amér. MOOC (Dave Educational Blog, 2 octobre 2008) formé des lettres init. de Massive, Open, Online et Course dans l'expr. Massive Open Online Course.)

lundi 28 juillet 2014

EIAH, les mots de la recherche

Le 13 octobre 2014, dans le cadre du projet EducMap (PEPS CNRS), Luc Trouche et Olivier Rey organisent à l'IFé (ENS de Lyon) le second séminaire "pour une cartographie dynamique des recherches en éducation". Je présenterai à cette occasion le méta-projet TEL Thesaurus, notamment pour la partie concernant les termes et expressions de la recherche en EIAH ; les lignes ci-dessous en résume les objectifs :
La recherche sur les EIAH couvre un large champ de problèmes en étroite interaction depuis la conception jusqu’au déploiement. De nombreuses disciplines sont impliquées. Leur diversité entraine celle des discours et des pratiques scientifiques en particulier lorsque sont soulevées les questions sur la nature des résultats, leur validité et leur légitimité. Les malentendus sont nombreux et les approximations courantes. L’entente est souvent locale et provisoire, à l’occasion d’un projet ou d’un congrès, et rend difficile la constitution d'un corps de connaissances stable. Pour dépasser cette difficulté, nous avons choisi une approche pragmatique en partant des mots du discours pour en faire l’inventaire et poser la question de leurs définitions. Il ne s’agit pas d'imposer une vision unique, mais d'explorer la richesse lexicale du domaine et d’établir, par ce moyen, des relations entre disciplines et traditions scientifiques. Ce dernier point est particulièrement important. S’il est vrai que la recherche sur les EIAH est internationale et que son vocabulaire est le plus souvent forgé par la sphère anglo-saxonne, il n’en reste pas moins que la plupart des chercheurs travaillent d'abord dans la langue de leur institution et pensent encore -- pour beaucoup d’entre eux -- dans leur langue maternelle. La question de la traduction ou de l’interprétation des termes se pose et peut faire apparaître plus que des nuances.
La construction d’un thésaurus de la recherche sur les EIAH a donc été engagée pour répondre au double besoin de consolider la communication entre chercheurs de différentes disciplines et locuteurs des diverses langues. Je présenterai au cours du séminaire la procédure adoptée pour constituer le thésaurus, le dictionnaire et la stratégie éditoriale. La conclusion évoquera les leçons que l'on peut retenir, et proposera des perspectives de développement du projet.

mardi 26 juin 2012

Le savant et l’ingénieur …

Billet initialement publié le 16 août 2006, sur le blog Opinion on TEL (site Kaleidoscope.org)

L’été est propice à des lectures dont les thèmes sont souvent très éloignés de nos préoccupations professionnelles. Quoi que… voici ce que je retiens de l’une d’entre elles :
« Et quand le savant a rencontré l’ingénieur, la mécanique analytique le chemin de fer, vers 1840, la croyance a prouvé son pouvoir, et put se prendre pour un savoir. On est alors passé de l’ère des sociétés chaudes, où contrairement aux sociétés froides, l’on consomme de l’événement pour produire du mouvement, à l’ère de la société industrielle, où l’on consomme des machines pour produire du mythe. » (Debray, cf ci-dessous)
Je me suis d’abord arrêté sur la première phrase pour repenser sous cet angle nos recherches sur les EIAH. Mais il me semble que la seconde mérite aussi notre réflexion. Ne poussons-nous pas la consommation de technologies pour nourrir des mythes sur l’éducation ? où en adoptant ces mythes comme justification puérile ou mondaine. Ces deux derniers attributs me sont suggérés par la relecture de Bachelard qui, dans ce contexte si éloigné de son exploration de la formation de l’esprit scientifique, peut peut-être encore nous inspirer :
 « … la tâche de la philosophie scientifique est très nette : psychanalyser l’intérêt, ruiner tout utilitarisme si déguisé qu’il soit, si élevé qu’il se prétende, tourner l’esprit du réel vers l’artificiel, du naturel vers l’humain, de la représentation vers l’abstraction. Jamais peut être plus qu’à notre époque, l’esprit scientifique n’a eu plus besoin d’être défendu, d’être illustré au sens même où du Bellay travaillait à la Défense et illustration de la langue française. Mais cette illustration ne peut se borner à une sublimation des aspirations communes les plus diverses. Elle doit être normative et cohérente. Elle doit rendre clairement conscient et actif le plaisir de l’excitation spirituelle dans la découverte du vrai. » (Bachelard, cf ci-dessous). 

Régis Debray, Supplique aux nouveaux progressistes du XXI° siècle. Paris : Gallimard, 2006. pp.36-7
Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique. Paris : Vrin, 1938, pp.9-10.

dimanche 6 mai 2012

Note pour un débat "provocateur" sur la formation ouverte et à distance (FOAD)

 Texte d'introduction à une contribution à la table ronde "Provocateur" du Symposium International Distances et savoirs, 10-11 décembre 2009, CNED Poitiers.

La formation à distance, depuis les origines, a exigé de ceux qui la mettent en œuvre -- comme de ceux qui en bénéficient -- la compréhension des circonstances particulières de son fonctionnement qui substitue à « ici et maintenant » un « où et quand on veut » qui remet en question les modalités habituelles de l’enseignement et de l’apprentissage. La formation à distance est ainsi provocatrice parce qu’elle est source de contraintes à l’origine de questions et de remises en questions des pratiques communes.

La distance est au cœur des problématiques de l’enseignement et de la formation. Le maître dans les temps anciens marquait la distance en montant en chaire, plus récemment, au début du siècle dernier, l’estrade était fréquente. Ces dispositifs soulignaient une place différente relativement au savoir. On a peu à peu supprimé ces barrières matérielles, cependant symboliques ; mais si le professeur est « descendu » dans la salle de classe, une distance subsiste. Au fond, la première question que la formation à distance soulève est celle de savoir ce qui est mis à distance. Contrairement aux apparences, ce n’est pas le professeur ou l’enseignant, mais le savoir lui-même -- l’enjeu des apprentissages. D’ailleurs, ne parle-t-on pas d’accès à la connaissance, d’accès au savoir. Un accès rendu possible à « tous » dans la mesure où les contraintes économiques et d’infrastructure auraient été levées. L’enjeu de la formation à distance est donc d’élargir les possibilités d’accès à la formation et à la connaissance, et ce à quoi vont être attentifs les utilisateurs – professeurs, élèves ou familles – c’est la possibilité par ce moyen d’obtenir les diplômes et qualifications recherchés.

J’apporterai ici l’illustration de mon propre témoignage, à propos du projet TéléCabri que j’ai conduit dans les années 90 dans le cadre de l’hôpital de Grenoble. Il s’agissait de mettre en place une infrastructure et des pratiques pour, en s’appuyant sur les technologies de la distance, permettre à des enfants hospitalisés pour des durées significatives de recevoir des enseignements équivalents à ceux qu’ils auraient eu dans leur établissement. La principale spécification du projet, pris dans son ensemble, était que les élèves puissent retourner dans leur établissement d’origine sans pâtir d’une rupture de scolarité (les carnets de notes et autre bulletins circulant entre structure hospitalière et structure scolaire). Les parents, comme les élèves et les enseignants intervenants ne posaient pas de questions sur la technologie et la distance, mais sur l’efficacité d’un dispositif qui était pour l’essentiel transparent à leurs yeux. Ainsi, le critère de succès du projet était la transparence du dispositif technique aux yeux de ses utilisateurs. Le sentiment de distance doit s’effacer au profit de la seule problématique d’apprentissage. Ce qui est provocateur, c’est que le succès de la formation à distance réside dans sa disparition en tant que problématique propre de l’apprentissage ou de l’enseignement, ne subsistant que les contraintes de temps et d’espace à traiter pour telles mais en quelque sorte en arrière plan. En revanche, reste au premier plan la question des rapports entre la technologie et les savoirs dans un contexte d’enseignement et d’apprentissage.

A ce point je voudrais faire une remarque sur la différence d’évolution des vocabulaires dans la sphère anglophone et francophone. Dans le premier cas s’est imposée, sous l’impulsion principalement de la commission européenne, l’expression « technology enhanced learning (TEL) ». Dans la sphère francophone, depuis la fin des années 90 [*], s’est imposée l’expression « environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) ». Je mets le mot « pour » en italique parce que c’est le mot essentiel, celui par qui les difficultés arrivent. En effet, on peut mettre en rapport moyens informatiques et apprentissage, et observer que l’immersion technologique conduit à des apprentissages (a posteriori). Une difficulté surgit, lorsque l’on prétend que ces environnements informatiques ont été conçus « pour » un apprentissage, car alors il faut être capable de justifier de ce que les apprentissages recherchés (a priori) ont été obtenus. Le programme scientifique auquel renvoie le sigle « EIAH » est ainsi autrement ambitieux que celui des « TEL ». Il poursuit en fait le projet initial des « tuteurs intelligents » que l’on a trop vite abandonné devant les difficultés auxquelles les chercheurs en informatique et en éducation étaient confrontés. Les EIAH ne sont cependant pas synonymes des tuteurs intelligents, la problématique englobe aussi bien les tuteurs que les micromondes, la formation à distance les didacticiels. Les EIAH n’auraient au fond à satisfaire que la contrainte de « connaissance », enjeu de l’apprentissage, mais il faut qu’ils ne l’oublient pas. C’est parce que cette contrainte a été mal spécifiée, ou trop rapidement, que Logo fut à la fois un grand succès et un grand échec. Un grand échec parce que finalement Logo a à peu près disparu des classes, faute de trouver sa place dans la caisse à outils qui permet de réaliser les prescriptions du curriculum scolaire. Certes Logo permet d’exprimer la créativité intellectuelle, et d’apprendre des concepts sophistiqués telle la programmation ou la géométrie, mais avec un décalage toujours sensible par rapport aux disciplines scolaires – la géométrie sous-jacente à Logo est la géométrie différentielle (le cercle est une figure à courbure constante) alors que la référence de la géométrie scolaire est la géométrie d’incidence et euclidienne (le cercle est l’ensemble des points à même distance d’un point donné). Pour autant, Logo est un grand succès parce qu’il a forgé le concept de micromonde et ouvert une problématique innovante qui a conduit à des réalisations telle celle de Cabri-géomètre, un micromonde de géométrie élémentaire dont l’interface offre un accès direct aux objets et à leurs relations. L’analyse des deux environnements du point de vue de la connaissance qu’ils engagent et de son rapport aux curricula permet de comprendre leurs réceptions différentes par les institutions scolaires.

Ainsi, la question de la distance ne prend de l’importance que dans la mesure où elle est à l’origine d’incertitudes, de questions sur l’accès aux savoirs en termes d’apprentissage et de leur validation. Ces questions sont intelligibles lorsque la distance est exprimée par des contraintes qui s’exercent sur la communication entre l’enseignant et les élèves, les élèves entre eux, l’accès à une représentation des savoirs en jeu ou aux activités qui les impliquent. Les technologies ont d’abord permis de dépasser les contraintes de l’éloignement géographique en gérant celles temporelles liées à la production des supports de formation et à leur acheminement. Les technologies contemporaines ont diminué sensiblement les contraintes géographiques et fait apparaitre les contraintes topologique, en même temps qu’elles mettaient au second plan les contraintes temporelles d’acheminement pour ouvrir sur celle de la gestion des relations entre temps de l’institution et temps de l’apprentissage, synchronie et asynchronie des échanges, ubiquité des ressources et permanence de leur disponibilité. L’idée même de distance devient seconde, elle cède la place à celle d’espace pour l’apprentissage (learning space) qui associe des espaces numériques et des espaces matériels, des structures sociales réglées par des institutions (e.g. l’école, la classe) ou par des processus sociaux instrumentés (e.g. communautés d’apprentissage) qui émergent des interactions sur Internet.

Au fond, la distance a disparu et les problématiques d’enseignement avec elle, au sens ancien de la malle-poste. Une autre problématique est apparue, celle d’espace d’apprentissage dont les propriétés essentielles sont topologiques et temporelles, plus que géographiques et chronologiques. Cet espace doit avoir des propriétés écologiques assurant la viabilité des processus d’apprentissage d’une connaissance donnée et de leur reconnaissance (certification). La mobilité des supports, la convergence entre téléphonie et informatique, l’accroissement des ressources en libre accès, la convergence des bibliothèques et des systèmes d’information, l’émergence d’une informatique ambiante (coordonnant des capteurs et exploitant leurs données) ouvrent sur une perspective nouvelle et des problématiques pour lesquelles la seule reproduction dans l’espace numérique des modèles de la classe inscrits dans l’espace architectural et institutionnel de l’école, ne sera plus suffisante.


[*] Cette expression est pour la première fois utilisée dans les actes des journées du PRC Intelligence Artificielle tenues à Grenoble en 1997. Elle est née en 1993 d’une réponse apportée par l’équipe grenobloise à une question posée par le comité scientifique de l’IMAG (fédération de laboratoires d’informatique et mathématiques appliquées de l’époque). J’avais pensé que par une telle expression on mettrait mieux en évidence notre projet scientifique en plaçant très précisément le défi dans la finalisation didactique de ces environnements. L’équipe EIAH a été créée dans le cadre du laboratoire Leibniz en 1995.

samedi 5 mai 2012

FOAD, ce qui est mis à distance

"La distance est au cœur des problématiques de l’enseignement et de la formation. Le maître dans les temps anciens marquait la distance en montant en chaire, plus récemment, au début du siècle dernier, l’estrade était fréquente. Ces dispositifs soulignaient une place différente relativement au savoir. On a peu à peu supprimé ces barrières matérielles, cependant symboliques ; mais si le professeur est « descendu » dans la salle de classe, une distance subsiste. Au fond, la première question que la formation à distance soulève est celle de savoir ce qui est mis à distance. Contrairement aux apparences, ce n’est pas le professeur ou l’enseignant, mais le savoir lui-même -- l’enjeu des apprentissages. D’ailleurs, ne parle-t-on pas d’accès à la connaissance, d’accès au savoir. Un accès rendu possible à « tous » dans la mesure où les contraintes économiques et d’infrastructure auraient été levées. L’enjeu de la formation à distance est donc d’élargir les possibilités d’accès à la formation et à la connaissance, et ce à quoi vont être attentifs les utilisateurs – professeurs, élèves ou familles – c’est la possibilité par ce moyen d’obtenir les diplômes et qualifications recherchés." [consulter ici le texte complet]

L'éducation, enjeux marchands

Billet initialement publié le 30 août 2008 sur le blog Opinion on TEL (Kaleidoscope.org)

L'éducation est-elle un produit marchand ou, mieux, l'éducation est-elle un service marchand ? Cette question est analysée par Pierre Moeglin et Gaëtan Tremblay dans un article de la dernière livraison de Distance et savoir. La question est d'importance d'une part parce que le discours dominant tendrait à nous faire penser que la réponse est positive, d'autre part parce que les appels d'offre auxquels nous répondons semblent penser que la réponse est positive. En particulier, quiconque a été confronté aux évaluations par la commission européenne sait que la question économique est des plus sensibles... qu'il s'agisse de proposition (exercice libre) ou d'évaluation (exercice imposé). Formellement la réponse doit être positive puisque l'éducation relève de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) au moins pour tout ce qui n'est pas sous la gouvernance des états (service fourni dans l'exercice du pouvoir gouvernemental).

Moeglin et Tremblay s'intéressent aux services d'éducation à distance. Mais en fait, cette précision importe moins qu'on ne le pense. En effet les technologies prennent leur place doucement mais surement dans l'enseignement et donc la problématique vaut d'être considérée dans sa généralité. En revanche ce que souligne cet article est l'internationalisation de cette problématique, attestée par le caractère mondial de l'AGCS. L'OCDE, la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI), nombreuses sont les institutions affirmant un point de vue économique avec probablement une déception en constant la faiblesse des revenus effectifs au regard des ambitions initiales. Mais cela ne parait pas affecter les discours soutenant l'idée de cette marchandisation, ni ceux s'y opposant. L'article souligne bien ce décalage entre les mots et les faits.

L'analyse s'articule sur trois pôles : l'économie, l'international, le professionnel (j'aurais pu écrire "l'innovation"). Les liens sont forts mais les différences aussi et on gagne à maintenir cette distinction (dont le troisième volet est peu exploré). On constate alors que sur le plan professionnel (instrumental) la montée en puissance des technologies de la distance est constante (comme elle l'est dans tous les secteurs de l'activité humaine) et passablement internationale (collaborations inter-universitaires). Le plan de l'innovation n'est pas détaillé mais évoqué parce que le discours y est (curieusement) proche de celui des tenants du libéralisme économique ; mais par la place qu'elle prend dans le développement instrumental il est clair que l'innovation est elle aussi en fort développement (l'offre des projets aux divers appels d'offre en atteste). Reste le pôle économique qui ne décolle pas... alors quoi ? Il faut peut être aller plus loin et autrement dans l'analyse.

L'article de Moeglin et Tremblay éclaire bien le décalage et le jeu entre idéologie (discours de décideurs de haut niveau et action de lobby industriels) et évolution technologique (déploiement des technologies dans l'enseignement). Le décalage est magnifié par l'intrication de l'instrumentalisation et de l'instrumentation technologique de l'éducation à distance. Nous avions, dans le cadre du réseau Kaleidoscope, exploré un peu précisément les relations entre recherche et industrie. Il est apparu que cette question ne peut être traitée sans différencier les segments opérationnels : champ de l'enseignement (K-12), enseignement supérieur, formation à caractère professionnel, formation au sein de grandes entreprises, offre grand public de formation. Il apparait alors que les enjeux, les verrous, les opportunités de répondent pas aux mêmes critères. Les questions de l'internationalisation, de l'activité profitable, des rapports entre industrie et professionnels ne se posent pas dans les même termes. La non distinction de ces segments (ou d'autres plus fins ou mieux définis) rend opaque les évolutions tant sur le terrain économique que sur celui de l'internationalisation (voire globalisation). Notons par exemple que les grands opérateurs industriels s'intéressent essentiellement aux infrastructures, alors que les contenus ils relèvent souvent d'une approche plus manufacturière. Ou encore, les marchés de l'enseignement scolaire sont locaux et mieux adaptés aux PME, alors que les universités s'orientent vers des marchés internationaux et peuvent relever d'approches industrielles (en particulier dans l'aire anglo-saxonne). Une meilleure affirmation des ces distinctions permettrait peut être de diminuer la confusion engendrée par la proximité superficielle des discours des lobby économiques et des forces d'innovation pédagogique. Ou alors ces derniers seront encore longtemps utilisés comme cheval de Troie, comme l'évoquent les auteurs.


P. Moeglin, G. Tremblay (2008) Éducation à distance et mondialisation. Éléments pour une analyse critique
des textes programmatiques et problématiques. Distance et savoirs 6(1) 43-68.

vendredi 4 mai 2012

Campus numériques : une question de territoires ?

Billet initialement publié le 28 août 2006 sur le blog Opinion on TEL (Kaleidoscope.org)


« Le paradoxe de l’innovation et des TIC »... Le titre de l’article de Sana Miladi dans une récente livraison de Distances et savoirs suscite la curiosité. On s’attendrait plutôt à une intime convergence entre innovation et TIC, pourtant… l’impact de l’innovation des campus numérique sur les « anarchies organisées » que sont nos universités parait bien paradoxal au terme de son analyse : l’introduction de moyens d’enseignement ouverts, interactifs, personnalisés provoque l’émergence d’une organisation taylorienne de l’enseignement et une bureaucratisation accrue. De nouveaux métiers apparaissent, d’anciens métiers se transforment dans un mouvement qui accroit le sentiment du territoire et finalement parait fragiliser les protagonistes de l’innovation :
« Ce sont les contraintes qui pèsent sur chaque catégorie d’acteurs et les stratégies divergentes qui son mises en œuvre pour contrecarrer les incertitudes liées à l’innovation qui font émerger une forme de ‘bureaucratie’. Celle-ci serait le résultat de la confrontation de plusieurs légitimités professionnelles. Plutôt que d’engendrer de nouvelles logiques plus collectives, l’intégration des TIC dans la formation renforcerait les acteurs dans leurs logiques individuelles. »
Quelques pages plus loin, on trouve sous la signature de Michel Develay, Hélène Gaudinet et Maud Ciekanski une analyse qui répond, de fait, à ce constat en soulevant le problème de l’évolution de l’identité et de la responsabilité des personnels engagés dans le mouvement de création des campus numérique ; problèmes nouveaux de responsabilité qui appellent à la redéfinition de déontologie professionnelle pour formaliser une nouvelle éthique de la responsabilité. Finalement, nous devons probablement comprendre que ce que nous observons ne sont pas les campus numériques, qui adviendront quoi qu’il en soit parce que l’horloge numérique poursuit irrémédiablement sa course, mais un processus de transformation dont l’état actuel n’est probablement qu’anecdotique : « le travail en réseau engendrerait ainsi de nouvelles logiques professionnelles qui tendraient à modifier tant la nature des interactions que la culture professionnelle des acteurs impliqués ».

Quelles seront ces logiques ? ces évolutions professionnelles ? On ne peut probablement que se (perdre ?) en conjectures, ou alors rapporter et documenter ce que l’on observe. C’est ce dernier objectif que sert ce numéro thématique de Distances et Savoirs.

Toutes ces questions, spéculations ou préoccupations suggèrent que pour l’instant chercheurs et praticiens sont perdus dans un univers de solitude au sens de Michel Serres : engagés dans la traversée d’un territoire immense et inconnu, ils ont perdu de vue les côtes familières et ne perçoivent pas encore les nouvelles terres vers lesquelles ils vont. Heureusement, quelques grands timoniers nous montrent la direction : « ce qui est à l’œuvre est une véritable révolution culturelle qui est en marche rapide avec l’apport de l’Internet et des technologies de l’information et de la communication. Elles ont complètement modifié tous les modes de travail dans le monde de la formation, du travail, du loisir et de l’échange ». Enfin, pas si sûr… les modes de travail du monde de la formation ne sont pas modifiés, mais sous le choc d’outils qui ne sont pas encore des instruments, d’une remise en question volontariste avec peu de cadre pour penser ce qui est désiré et des visions plus idéologiques que rationnelles. Si les Sciences de l’éducation rencontraient une difficulté aujourd’hui, contrairement à Albert Claude Benhamou, j’affirmerais que c’est moins parce qu’elles manqueraient d’appuis sur la pratique—elles en ont au contraire beaucoup et de solides—mais de cadres théoriques pour penser et comprendre ce qui est à l’œuvre.


Sana Miladi : Les campus numériques : le paradoxe de l'innovation par les TIC. Distances et savoirs 4(1) 41-60
Michel Develay, Hélène Godinet, Maud Ciekanski : Pour une écologie de la responsabilité pédagogique en e-formation. Distances et savoirs 4(1) 61-72
Entretien avec le professeurAlbert-Claude Benhamou, promoteur des UNT. Distances et savoirs 4(1) 99-107

jeudi 3 mai 2012

La fidélité n'est pas le problème

Billet initialement publié le 21 juillet 2006 sur le blog Opinion on TEL (site Kaleidoscope.org)

Juillet 2006, La Grande Motte , les vacances. Enfin, pas tout à fait. Une cinquantaine de chercheurs de toutes disciplines se réunissent pour faire le point sur les progrès de la conception et de l’utilisation de simulations et réalités virtuelles pour l’apprentissage, surtout celui des adultes.

L’intérêt des simulations et des réalités virtuelles pour les apprentissages professionnels n’échappe à personne : disponibilité, accessibilité hors risques, réalisme… ce dernier terme est d’ailleurs celui sur lequel se focalise le plus nettement l’attention. Il en appelle d’autres comme « fidélité » de la simulation à une situation de référence, ou des expressions comme « simulateur pleine échelle ».

La question de la « fidélité » occupe les chercheurs dans le domaine des EIAH depuis les débuts—les années 70. Elle renvoie à la fois à un projet technologique qui intègre informatique et divers secteurs de l’ingénierie pour la réalisation d’espaces physiques permettant de reproduire de façon vivante la situation de référence (cabine de pilotage d’un avion, mannequin d’un patient, etc.), et à un désir d’affranchissement des barrières entre une réalité que l’on invoque et sa représentation. Si les technologies progressent, en revanche la frustration est toujours grande de voir nos désirs d’interchangeabilité du réel et du virtuel nous échapper. La faute en revient probablement à notre ignorance : la fidélité est hors de portée ; les recherches sémiotiques l’on mit en évidence il y a bien longtemps. Rappelons-le ce postulat fondateur : on ne peut confondre le signe et le référent. La question du référent, elle-même, est bien plus difficile qu’il n’y parait au premier coup d’œil : un lion dans une cage n’est plus vraiment un lion. Nous faisons fausse route !

Le problème n’est pas celui de la fidélité, mais celui de l’évaluation de la validité de la simulation au regard de l’objectif d’apprentissage. La conférence d’Anne-Sophie Nyssen fut lors de cette école thématique une excellente introduction à cette problématique, prenant la question du point de vue des bénéfices et des limites du recours aux simulations pleine échelle (dans son cas, pour la formation des anesthésistes). Comment mesurer ou documenter ces limites et ces bénéfices ? Manifestement pas en mesurant, en soi, la distance entre la simulation et son référent, mais la distance entre la compétence ou la connaissance que la simulation permet de construire et celle qui est visée par la situation d’apprentissage. Ce n’est donc plus le dispositif informatique qu’il faut évaluer mais toute la situation d’apprentissage qu’il permet (ou ne permet pas) de mettre en scène. Une voie que Jocelyne et Marc Nanard ouvraient, à Montpellier déjà, en substituant l’idée d’engagement direct à celle de manipulation directe à l’interface d’un logiciel.

mercredi 2 mai 2012

Une vielle idée

Billet initialement publié le 11 mai 2096 sur le blog Opinion on TEL (site Kaleidoscope.org)

Sans la production effective d'EIAH notre activité n'a pas grand sens. Cette production est rendue particulièrement difficile par au moins trois facteurs : le manque de forces humaines pour réaliser les développements informatiques nécessaires, la nécessité de réaliser des prototypes aussi proches que possible dans leur comportement et leur aspect de ce que seront les produits, enfin la difficulté à capitaliser les "briques" qui sont ici et là construites à la faveur d'une thèse ou d'un projet.


Notre économie de la recherche est désastreuse, non seulement au plan de l'identification et de la capitalisation des savoirs, mais encore à celui de la mutualisation et de la capitalisation des objets techniques. Cette considération n'est pas annexe, elle est centrale et conditionne largement notre capacité à développer et à conforter l'activité scientifique elle-même. Il nous faut développer un concept de plate-forme de mutualisation et de capitalisation de nos avancées technologiques. Pour cela, nous devons décider de quelle partie de nos réalisations (prototypes, maquettes et produits) est susceptible d'une standardisation opérationnelle et avec quelle relation avec un cadre commun d’expression des modèles. Il faut nous engager dans cette voie, mais pas avec les même contraintes que celles que cherche à imposer le monde industriel : la recherche de standards, nécessaires à notre communication et au partage des nos réalisations techniques, ne doit figer à aucun moment ni notre approche ni ses résultats.

La nécessité d’une telle plate-forme rejoint celle d’un grand instrument sur lequel conduire les recherches avec des moyens en personnels techniques et avec des ressources informatiques qui sont hors de portée des laboratoires. Ce « grand instrument », outil pour la recherche expérimentale sur les EIAH, est non exclusif des moyens plus ponctuels que nous continuerons de produire, il est un complément finalement naturel de l'effort de constitution théorique que nous devons engager.