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samedi 5 mai 2012

L'éducation, enjeux marchands

Billet initialement publié le 30 août 2008 sur le blog Opinion on TEL (Kaleidoscope.org)

L'éducation est-elle un produit marchand ou, mieux, l'éducation est-elle un service marchand ? Cette question est analysée par Pierre Moeglin et Gaëtan Tremblay dans un article de la dernière livraison de Distance et savoir. La question est d'importance d'une part parce que le discours dominant tendrait à nous faire penser que la réponse est positive, d'autre part parce que les appels d'offre auxquels nous répondons semblent penser que la réponse est positive. En particulier, quiconque a été confronté aux évaluations par la commission européenne sait que la question économique est des plus sensibles... qu'il s'agisse de proposition (exercice libre) ou d'évaluation (exercice imposé). Formellement la réponse doit être positive puisque l'éducation relève de l'Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS) au moins pour tout ce qui n'est pas sous la gouvernance des états (service fourni dans l'exercice du pouvoir gouvernemental).

Moeglin et Tremblay s'intéressent aux services d'éducation à distance. Mais en fait, cette précision importe moins qu'on ne le pense. En effet les technologies prennent leur place doucement mais surement dans l'enseignement et donc la problématique vaut d'être considérée dans sa généralité. En revanche ce que souligne cet article est l'internationalisation de cette problématique, attestée par le caractère mondial de l'AGCS. L'OCDE, la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI), nombreuses sont les institutions affirmant un point de vue économique avec probablement une déception en constant la faiblesse des revenus effectifs au regard des ambitions initiales. Mais cela ne parait pas affecter les discours soutenant l'idée de cette marchandisation, ni ceux s'y opposant. L'article souligne bien ce décalage entre les mots et les faits.

L'analyse s'articule sur trois pôles : l'économie, l'international, le professionnel (j'aurais pu écrire "l'innovation"). Les liens sont forts mais les différences aussi et on gagne à maintenir cette distinction (dont le troisième volet est peu exploré). On constate alors que sur le plan professionnel (instrumental) la montée en puissance des technologies de la distance est constante (comme elle l'est dans tous les secteurs de l'activité humaine) et passablement internationale (collaborations inter-universitaires). Le plan de l'innovation n'est pas détaillé mais évoqué parce que le discours y est (curieusement) proche de celui des tenants du libéralisme économique ; mais par la place qu'elle prend dans le développement instrumental il est clair que l'innovation est elle aussi en fort développement (l'offre des projets aux divers appels d'offre en atteste). Reste le pôle économique qui ne décolle pas... alors quoi ? Il faut peut être aller plus loin et autrement dans l'analyse.

L'article de Moeglin et Tremblay éclaire bien le décalage et le jeu entre idéologie (discours de décideurs de haut niveau et action de lobby industriels) et évolution technologique (déploiement des technologies dans l'enseignement). Le décalage est magnifié par l'intrication de l'instrumentalisation et de l'instrumentation technologique de l'éducation à distance. Nous avions, dans le cadre du réseau Kaleidoscope, exploré un peu précisément les relations entre recherche et industrie. Il est apparu que cette question ne peut être traitée sans différencier les segments opérationnels : champ de l'enseignement (K-12), enseignement supérieur, formation à caractère professionnel, formation au sein de grandes entreprises, offre grand public de formation. Il apparait alors que les enjeux, les verrous, les opportunités de répondent pas aux mêmes critères. Les questions de l'internationalisation, de l'activité profitable, des rapports entre industrie et professionnels ne se posent pas dans les même termes. La non distinction de ces segments (ou d'autres plus fins ou mieux définis) rend opaque les évolutions tant sur le terrain économique que sur celui de l'internationalisation (voire globalisation). Notons par exemple que les grands opérateurs industriels s'intéressent essentiellement aux infrastructures, alors que les contenus ils relèvent souvent d'une approche plus manufacturière. Ou encore, les marchés de l'enseignement scolaire sont locaux et mieux adaptés aux PME, alors que les universités s'orientent vers des marchés internationaux et peuvent relever d'approches industrielles (en particulier dans l'aire anglo-saxonne). Une meilleure affirmation des ces distinctions permettrait peut être de diminuer la confusion engendrée par la proximité superficielle des discours des lobby économiques et des forces d'innovation pédagogique. Ou alors ces derniers seront encore longtemps utilisés comme cheval de Troie, comme l'évoquent les auteurs.


P. Moeglin, G. Tremblay (2008) Éducation à distance et mondialisation. Éléments pour une analyse critique
des textes programmatiques et problématiques. Distance et savoirs 6(1) 43-68.

vendredi 4 mai 2012

Campus numériques : une question de territoires ?

Billet initialement publié le 28 août 2006 sur le blog Opinion on TEL (Kaleidoscope.org)


« Le paradoxe de l’innovation et des TIC »... Le titre de l’article de Sana Miladi dans une récente livraison de Distances et savoirs suscite la curiosité. On s’attendrait plutôt à une intime convergence entre innovation et TIC, pourtant… l’impact de l’innovation des campus numérique sur les « anarchies organisées » que sont nos universités parait bien paradoxal au terme de son analyse : l’introduction de moyens d’enseignement ouverts, interactifs, personnalisés provoque l’émergence d’une organisation taylorienne de l’enseignement et une bureaucratisation accrue. De nouveaux métiers apparaissent, d’anciens métiers se transforment dans un mouvement qui accroit le sentiment du territoire et finalement parait fragiliser les protagonistes de l’innovation :
« Ce sont les contraintes qui pèsent sur chaque catégorie d’acteurs et les stratégies divergentes qui son mises en œuvre pour contrecarrer les incertitudes liées à l’innovation qui font émerger une forme de ‘bureaucratie’. Celle-ci serait le résultat de la confrontation de plusieurs légitimités professionnelles. Plutôt que d’engendrer de nouvelles logiques plus collectives, l’intégration des TIC dans la formation renforcerait les acteurs dans leurs logiques individuelles. »
Quelques pages plus loin, on trouve sous la signature de Michel Develay, Hélène Gaudinet et Maud Ciekanski une analyse qui répond, de fait, à ce constat en soulevant le problème de l’évolution de l’identité et de la responsabilité des personnels engagés dans le mouvement de création des campus numérique ; problèmes nouveaux de responsabilité qui appellent à la redéfinition de déontologie professionnelle pour formaliser une nouvelle éthique de la responsabilité. Finalement, nous devons probablement comprendre que ce que nous observons ne sont pas les campus numériques, qui adviendront quoi qu’il en soit parce que l’horloge numérique poursuit irrémédiablement sa course, mais un processus de transformation dont l’état actuel n’est probablement qu’anecdotique : « le travail en réseau engendrerait ainsi de nouvelles logiques professionnelles qui tendraient à modifier tant la nature des interactions que la culture professionnelle des acteurs impliqués ».

Quelles seront ces logiques ? ces évolutions professionnelles ? On ne peut probablement que se (perdre ?) en conjectures, ou alors rapporter et documenter ce que l’on observe. C’est ce dernier objectif que sert ce numéro thématique de Distances et Savoirs.

Toutes ces questions, spéculations ou préoccupations suggèrent que pour l’instant chercheurs et praticiens sont perdus dans un univers de solitude au sens de Michel Serres : engagés dans la traversée d’un territoire immense et inconnu, ils ont perdu de vue les côtes familières et ne perçoivent pas encore les nouvelles terres vers lesquelles ils vont. Heureusement, quelques grands timoniers nous montrent la direction : « ce qui est à l’œuvre est une véritable révolution culturelle qui est en marche rapide avec l’apport de l’Internet et des technologies de l’information et de la communication. Elles ont complètement modifié tous les modes de travail dans le monde de la formation, du travail, du loisir et de l’échange ». Enfin, pas si sûr… les modes de travail du monde de la formation ne sont pas modifiés, mais sous le choc d’outils qui ne sont pas encore des instruments, d’une remise en question volontariste avec peu de cadre pour penser ce qui est désiré et des visions plus idéologiques que rationnelles. Si les Sciences de l’éducation rencontraient une difficulté aujourd’hui, contrairement à Albert Claude Benhamou, j’affirmerais que c’est moins parce qu’elles manqueraient d’appuis sur la pratique—elles en ont au contraire beaucoup et de solides—mais de cadres théoriques pour penser et comprendre ce qui est à l’œuvre.


Sana Miladi : Les campus numériques : le paradoxe de l'innovation par les TIC. Distances et savoirs 4(1) 41-60
Michel Develay, Hélène Godinet, Maud Ciekanski : Pour une écologie de la responsabilité pédagogique en e-formation. Distances et savoirs 4(1) 61-72
Entretien avec le professeurAlbert-Claude Benhamou, promoteur des UNT. Distances et savoirs 4(1) 99-107