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vendredi 9 janvier 2015
Visite à l'UPN, Mexico

samedi 24 août 2013
cK¢, une introduction à l'occasion de la conférence PMENA 2013
J'aurai l'occasion cet automne de présenter les principes et objectifs du modèle cK¢ dans le cadre de la conférence annuelle de la section américaine du groupe international Psychology of Mathematics Education. Voici le résumé de mon exposé dont le texte est disponible sur HAL sous le titre "cK¢, a model to reason on learners' conceptions"
La conférence PMENA a lieu du 14 au 17 novembre à Chicago."Understanding learners' understanding is a key requirement for an efficient design of teaching situations and learning environments, be they digital or not. This keynote outlines the modeling framework cK¢ (conception, knowing, concept) created with the objective to respond to this requirement, with the additional ambition to build a bridge between research in mathematics education and research in educational technology. After an introduction of the rationale of cK¢, some illustrations are presented. Then follow comments on cK¢ and learning. The conclusion evokes key research issues raised by the use of this modeling framework."
vendredi 3 mai 2013
Gérard Vergnaud, quelques mots sur la théorie des champs conceptuels
Une interview le 2 septembre 2011 pour SINPRO-SP (syndicat d'enseignants de Sao Paulo), durant laquelle, en quelques minutes, Gérard Vergnaud dessine très clairement les lignes de force des recherches qu'il conduit depuis plus de quarante ans.
vendredi 1 mars 2013
Quelques éléments de vocabulaire, à propos de preuve et de démonstration
Première publication : La lettre de la preuve, [original ici]
Avertissement original et d'actualité : contribution informelle et provisoire...
Ce qui suit est issu de Étude des processus de preuve chez des élèves de Collège -- Balacheff 1988 ; à propos du vocabulaire dans l'enseignement voir plutôt Balacheff 1982 avec quelques éléments sur la transposition.
Les verbes expliquer, prouver, démontrer, sont souvent considérés comme synonymes dans la pratique de l'enseignement des mathématiques en France. On peut s'en assurer aisément par une consultation rapide des manuels scolaires. S'en tenir à ces habitudes constitue à notre sens un obstacle aux recherches sur le domaine qui nous intéresse dans la mesure où elles conduisent à amalgamer différents niveaux d'activité des élèves qu'il est en fait nécessaire de distinguer, comme nous essaierons de le montrer, pour comprendre la complexité du problème de l'apprentissage de la démonstration. Nous proposons dans ce qui suit de préciser ce vocabulaire.
A la suite de Piaget (1970) nous dirons qu'expliquer, "sur le terrain des sciences déductives", c'est d'abord dégager les "raisons" pour "répondre à la question du pourquoi". Mais du point de vue même de la pratique des mathématiques, donner des raisons d'un théorème, l'expliquer et le démontrer relèvent de deux exigences distinctes. C'est le sens de la remarque suivante :
"tout mathématicien sait d'ailleurs qu'une démonstration n'est pas véritablement «comprise» tant qu'on s'est borné à vérifier pas à pas la correction des déductions qui y figurent, sans essayer de concevoir clairement les idées qui ont conduit à bâtir cette chaîne de déductions de préférence à tout autre". (Bourbaki 1948, p.37 note1)Expliquer renvoie aux significations, c'est-à-dire à la compréhension de la validité d'une assertion, non au sens de la logique, mais au sens de ses relations avec le corps des connaissances mathématiques. Cette "organisation inférentielle de significations" (Halbwachs 1981) peut échapper à une démonstration par ailleurs irréprochable du point de vue de la logique. En témoigne, par exemple, l'aveu célèbre de Cantor quand il interpelle Dedekind à propos de la démonstration qu'il vient d'écrire : "je le vois mais je ne le crois pas" (cité par Cavailles 1962, p.211).
Explication
A la suite des linguistes, nous situons l'explication au niveau du sujet locuteur. C'est d'abord pour lui qu'elle établit et garantit la validité d'une proposition, elle prend racines dans ses connaissances et ce qui constitue sa rationalité, c'est-à-dire ses propres règles de décision du vrai. Mais elle est aussi ce discours qui vise à rendre intelligible à un autrui la vérité de la proposition déjà acquise pour le locuteur. Elle ne se réduit pas nécessairement à une chaîne déductive. Miéville la décrit ainsi au terme d'une étude sur "Explication et discours didactique de la mathématique" :"elle vise à établir chez l'interlocuteur un système d'objets qui ont entre eux une certaine homogénéité. Ces objets se rencontrent, s'agencent, et dans leur affinité, déterminent l'organisation d'une explication qui s'oriente vers la découverte d'un savoir nouveau " (Miéville 1981, p.150).
Preuve
Lorsqu'une explication est reconnue et acceptée, il convient pour la désigner de disposer d'un terme qui permette de marquer son détachement du sujet locuteur. En mathématique, il est clair que le terme «démonstration», du fait de son acception très spécifique, ne convient pas. Nous retiendrons celui de preuve.Le passage de l'explication à la preuve fait référence à un processus social par lequel un discours assurant la validité d'une proposition change de statut en étant acceptée par une communauté. Ce statut n'est pas définitif, il peut évoluer dans le temps avec l'évolution des savoirs sur lesquels il s'appuie. Par ailleurs une preuve peut être acceptée par une communauté mais être refusée par une autre. On en a un exemple récent en mathématiques avec le «théorème des quatre couleurs» dont la preuve par Appel et Haken, qui n'est pas une démonstration au sens classique, est acceptée par certains mathématiciens, tel Swart (1980), et est refusée par d'autres, tel Tymoczko (1979) :
"the reliability of the four-colour theorem is not of the same degree as that guaranteed by traditional proofs [en français : démonstration ], for this reliability rests on the assessment of a complex set of empirical factors" (Tymoczko cité par Hanna 1983, p.85).Mais l'acceptation de l'«explication» de Appel et Haken ne repose pas sur de simples critères de vérification logique : "the very reason those of us who have worked on reducibility testing are happy about Haken, Appel and Koch's reducibility results is that they have to a large extent been independently checked by the use of different programs on different computers" (Swart 1980, p.698).
Démonstration
Le type de preuve dominant en mathématiques a une forme particulière, il s'agit d'une suite d'énoncés organisée suivant des règles déterminées : un énoncé est connu comme étant vrai, ou bien est déduit à partir de ceux qui le précèdent à l'aide d'une règle de déduction prise dans un ensemble de règles bien défini. Nous appelons, suivant ici l'usage, "démonstrations" ces preuves. Ce qui caractérise les démonstrations comme genre de discours est leur forme strictement codifiée. En fait, cette rigueur formelle doit être nuancée au regard de la pratique. Par exemple, certaines étapes de la démonstration peuvent ne pas être explicitées mais laissées aux bons soins du lecteur. Si, en principe, être une démonstration relève, pour un discours, de critères logiques, dans les faits les processus sociaux au sein de la communauté mathématique jouent un rôle important :"a proof becomes a proof after the social act of «accepting it as a proof». This is true of mathematics as it is of physics, linguistics, and biology " (Manin cité par Hanna 1983, p.71).Nous prenons, en parlant de communauté mathématique, un point de vue naïf ou, disons, du sens commun. Nous n'ignorons pas qu'au regard même de la démonstration cette communauté n'est pas monolithique. Des doctrines s'opposent (méthode axiomatique, intuitionisme, formalisme, etc.), on en trouvera une discussion intéressante dans Hanna (1983). Mais, comme le reconnaît cet auteur ce qui divise les mathématiciens ce n'est pas la démonstration en tant que telle, mais le choix des axiomes logiques et mathématiques (ibid. p.64-65).
Raisonnement et processus de validation
Le mot «raisonnement» a, de façon usuelle, principalement deux acceptions que résume bien"si le raisonnement, entendu comme acte de l'esprit, se rapproche de plus en plus de l'intuition à mesure que se concentre la pensée, inversement, quand celle-ci se détend dans son expression, verbale ou symbolique, il apparaît comme une certaine manière d'organiser le discours, pour devenir, à la limite, une suite d'opérations formelles exactement réglées, c'est-à-dire un calcul ". (Blanché 1973, p.39) :Dans l'étude qui nous intéresse cette double acception présente une difficulté car elle introduit lorsque l'on parle du raisonnement d'un individu une ambiguité évidente en ne distinguant pas assez clairement s'il s'agit de l'activité intellectuelle ou de l'explication produite.
Nous réserverons ici le mot raisonnement pour désigner l'activité intellectuelle, en général non complètement explicite, de manipulation d'informations, données ou acquises, pour produire de nouvelles informations. Nous désignerons par processus de validation cette activité lorsque sa finalité est de s'assurer de la validité d'une proposition et éventuellement de produire une explication (resp. une preuve ou une démonstration)
L'argumentation est-elle un obstacle ? Invitation à un débat...
Première publication : La lettre de la preuve, Mai/Juin 1999 [original ici]
Le premier diagnostic posé sur ce que pourraient être les sources de difficulté à enseigner et apprendre la démonstration en mathématique a été la nature du contrat didactique le plus naturellement émergeant des positions de l'élève et de l'enseignant relativement aux savoirs en jeu. Parce que l'enseignant est le garant de la légitimité et de la validité épistémologique de ce qui est construit dans la classe, alors l'élève serait privé d'un accès authentique à une problématique de la vérité et de la preuve. Le dépassement de cette difficulté inhérente à la nature des systèmes didactiques peut être recherché dans des situations permettant la dévolution aux élèves de la responsabilité mathématique de ce qu'ils produisent, ce qui signifie l'effacement de l'enseignant dans les processus de prise de décision au cours de la résolution d'un problème au bénéfice d'un effort de construction par les élèves de moyens autonomes de preuve.
J'ai, comme d'autres chercheurs, étudié de telles situations dans le courant des années 80. Les travaux de cette époque me paraissent avoir confirmé le caractère productif et essentiel de l'interaction sociale, mais ils ont aussi et peut être surtout révélé que par sa nature même ce type d'interaction suscitait des processus et des comportements sociaux allant à l'encontre de la construction d'une problématique mathématique, et plus généralement scientifique, de la preuve par les élèves. Ces processus et comportements pouvaient être rassemblés au sein d'une même thématique de référence, celle de l'argumentation. Je citais à l'époque, à l'appui de la conjecture didactique selon laquelle pour les élèves une problématique de l'argumentation viendrait s'opposer à une problématique mathématique de la preuve, les thèses issues des travaux de Perelman, notamment :
Argumentation et démonstration se trouveraient moins distingués par le genre des textes correspondants -- Raymond Duval soulignera que la distance discursives entre eux est faible -- que par le statut et le fonctionnement des énoncés, et donc finalement celui de la connaissance mise en jeu. L'argumentation, parce que son fonctionnement semble émerger naturellement des pratiques communes de discours ne permettrait pas l'identification de la modification du statut et du fonctionnement de la connaissance que requiert le travail mathématique, et en retour la modification de fonctionnement du discours lui-même.
L'examen des rapports de l'argumentation et de la démonstration dans cette approche centrée sur l'analyse du discours me paraît conforter la conjecture d'un rapport conflictuel entre les deux genres lorsque l'on se place dans une perspective d'apprentissage des mathématiques. Raymond Duval en conclura que "le développement de l'argumentation même dans ses formes les plus élaborées n'ouvre pas la voie vers la démonstration. Un apprentissage spécifique et indépendant est nécessaire en ce qui concerne le raisonnement déductif" (utilisant ici, à mon avis à tort, raisonnement déductif comme synonyme de démonstration). Il en conclut que la démonstration relève d'un apprentissage "spécifique et indépendant".
Pourtant, l'étude naturaliste des interactions dans la classe, telle que la conduit par exemple Paul Cobb et son équipe, suggère la possibilité d'une argumentation mathématique à laquelle les élèves accèderaient par la pratique de discussions réglées par des normes socio-mathématiques (sociomathematical norms) qui émergeraient des interactions entre l'enseignant et les élèves (l'enseignant étant regardé comme un représentant la communauté mathématique). Dans cette approche construction d'une rationalité mathématique (la démonstration n'est cependant pas enseignée en tant que telle) et argumentation sont étroitement liées.
A la suite de Perelman on considérera que l'argumentation est moins caractérisée par la prise en charge de son objet que par celle de son auditoire, elle est moins finalisée par l'établissement de la validité d'un énoncé que par la capacité à obtenir l'adhésion d'auditoire. En reprenant la formulation de Plantin, un énoncé dans cette conception a une valeur de raison, voire de vérité, dès lors qu'un individu l'accepte.
Toulmin, en revanche, rapporte la validité d'un énoncé d'abord à celle de la structure du discours (sa rationalité) qui la défend et donc fait fondamentalement dépendre cette validité de celle des prémisses au sein d'une communauté (d'un domaine) de référence dès lors que cette communauté s'accorderait sur les règles.
Ducrot place l'argumentation au cur de l'activité de parole. Comme le souligne Plantin, on ne peut pas, dans cette problématique, "ne pas argumenter". La structure de la suite des arguments joue un rôle déterminant : la force d'un argument ne viendra ni de caractéristiques "naturelles" ni de caractéristiques rationnelles, mais de sa place dans l'énoncé. C'est par la structure que l'on signifie, que l'on montre une orientation qui permet de recevoir "r comme la visée intentionnelle de P", ou "R comme une suite possible de P". L'analyse des connecteurs (mots de liaison) prend avec Ducrot un importance particulière parce que ce sont eux qui mettent les informations contenues dans un texte au service de son intention argumentative globale. La polyphonie des connecteurs, enfin, permet de mettre en scène dans le discours non seulement le locuteur mais aussi son protagoniste potentiel, "P mais Q" suggère un sujet adhérant à P auquel le locuteur objecte Q.
Nous remarquons que la référence à l'une ou l'autre de ces conceptions de l'argumentation est susceptible de nous faire adopter une position différente quant à ce que peut représenter l'argumentation dans la pratique des mathématiques, notamment avec une visée d'enseignement et en relation avec la démonstration. En se plaçant dans la suite de Toulmin il paraît possible d'envisager une solution de continuité de l'argumentation à la démonstration, et pourquoi pas de considérer la démonstration comme un genre argumentatif particulier (j'ignore si Toulmin marquait entre argumentation et démonstration (mathematical proof) l'opposition que soulignent les autres approches). En revanche l'existence d'une telle solution paraît douteuse lorsqu'on se place dans le cadre proposé par Perelman ou Ducrot.
S'il n'y a pas d'argumentation mathématique, il existe pourtant une argumentation en mathématiques. La résolution de problèmes, dans laquelle je dirais volontiers que tous les coups sont permis, est le lieu où peuvent se développer des pratiques argumentatives reprenant des moyens opérationnels ailleurs (métaphore, analogie, abduction, induction, etc.) qui s'effaceront lors de la construction du discours qui seul sera acceptable au regard des règles propres aux mathématiques. Je résumerai en une formule la place que je crois possible pour l'argumentation en mathématiques, allant dans le sens du concept d'unité cognitive des théorèmes forgé par nos collègues italiens :
L'argumentation est à
la conjecture ce que la démonstration est au
théorème.
Une conséquence que certains jugeront catastrophique est que comme la résolution de problème, l'argumentation sera rebelle à toute tentative d'enseignement direct (bien sûr, je ne confonds pas ici apprentissage de l'argumentation et apprentissage de la rhétorique).
Comprendre la démonstration c'est d'abord construire un rapport particulier à la connaissance en tant qu'enjeu d'une construction théorique, et donc c'est renoncer à la liberté que l'on pouvait se donner, en tant que personne, dans le jeu d'une argumentation. Parce que ce mouvement vers la rationalité mathématique ne peut être accompli qu'en prenant effectivement conscience de la nature de la validation dans cette discipline, il provoquera la double construction de l'argumentation et de la démonstration. L'argumentation dans la pratique commune est spontanée, comme le soulignent ceux qui travaillent le discours. Forgée dans les échanges familiaux, dans la cour de l'école, dans des circonstances multiples et souvent anodines, la compétence argumentative de l'élève est à l'image des pratiques familières : elle va de soi. La classe de mathématique est l'un des lieux où l'existence de cette pratique peut être révélée parce que soudain elle apparaît inadéquate (mais les situations pour susciter cette prise de sonscience sont difficiles à construire). Ce serait même à mes yeux une erreur de caractère épistémologique que de laisser croire aux élèves, par quelque effet jourdain, qu'ils seraient capables de production de preuve mathématique quant ils n'auraient qu'argumenté.
Enfin, et il s'agit là d'une point que je n'ai pas abordé mais que l'on ne peut oublier, le point fort qui sépare l'argumentation et la démonstration est la nécessité pour cette dernière d'exister relativement à une axiomatique explicite. Peut être parce que le temps des mathématiques modernes a laissé de trop mauvais souvenirs, l'idée de lier démonstration et axiomatique paraît le plus souvent susciter l'inquiétude sinon une ferme opposition, et pourtant : pourra-on longtemps faire autrement sans réduire la démonstration à une rhétorique particulière ou les mathématiques à un jeu de langage ?
Duval R. (1991) Structure du raisonnement déductif et apprentissage de la démonstration. Educational Studies in Mathematics 22(3) 233-261.
Duval R. (1992) Argumenter, démontrer, expliquer : continuité ou rupture cognitive ? Petit X 31, 37-61.
Perelman Ch. (1970) Le champ de l'argumentation. Bruxelles : Presses Universitaires.
Plantin C. (1990) Essais sur l'argumentation. Paris : Editions Kimé.
Yackel E, Cobb P. (1996) Sociomathematical norms, argumentation, and autonomy in mathematics. Journal for Research in Mathematics Education 27(4) 458-477.
Le premier diagnostic posé sur ce que pourraient être les sources de difficulté à enseigner et apprendre la démonstration en mathématique a été la nature du contrat didactique le plus naturellement émergeant des positions de l'élève et de l'enseignant relativement aux savoirs en jeu. Parce que l'enseignant est le garant de la légitimité et de la validité épistémologique de ce qui est construit dans la classe, alors l'élève serait privé d'un accès authentique à une problématique de la vérité et de la preuve. Le dépassement de cette difficulté inhérente à la nature des systèmes didactiques peut être recherché dans des situations permettant la dévolution aux élèves de la responsabilité mathématique de ce qu'ils produisent, ce qui signifie l'effacement de l'enseignant dans les processus de prise de décision au cours de la résolution d'un problème au bénéfice d'un effort de construction par les élèves de moyens autonomes de preuve.
L'argumentation, une problématique issue de l'étude des interactions sociales
L'interaction sociale entre les élèves est clairement apparue comme l'un des leviers puissants pour favoriser les processus de dévolution aux élèves d'une responsabilité mathématique sur leur activité et leurs productions. Au point que l'interaction sociale ait pu être considérée par certain comme étant la réponse par excellence aux problèmes posés. La rhétorique des tenants d'une telle position s'articulant essentiellement autour de l'idée que l'enseignant relégué au rôle de guide ou d'animateur des apprentissages ouvrirait la place, par ce seul mouvement de retraite, à une authentique construction des connaissances.J'ai, comme d'autres chercheurs, étudié de telles situations dans le courant des années 80. Les travaux de cette époque me paraissent avoir confirmé le caractère productif et essentiel de l'interaction sociale, mais ils ont aussi et peut être surtout révélé que par sa nature même ce type d'interaction suscitait des processus et des comportements sociaux allant à l'encontre de la construction d'une problématique mathématique, et plus généralement scientifique, de la preuve par les élèves. Ces processus et comportements pouvaient être rassemblés au sein d'une même thématique de référence, celle de l'argumentation. Je citais à l'époque, à l'appui de la conjecture didactique selon laquelle pour les élèves une problématique de l'argumentation viendrait s'opposer à une problématique mathématique de la preuve, les thèses issues des travaux de Perelman, notamment :
"tandis que la démonstration, sous sa forme la plus parfaite, est une enfilade de structures et de formes dont le déroulement ne saurait être récusé, l'argumentation a un caractère non-contraignant. Elle laisse à l'auteur l'hésitation, le doute, la liberté de choix ; même quand elle propose des solutions rationnelles, aucune ne l'emporte à coup sûr" (Perelman 1970 p.41).Même sans aller jusqu'à une conception de la démonstration sous sa forme la plus parfaite, ce que nous ferons en nous plaçant du point de vue de la pratique des mathématiciens, il reste une opposition fondamentale sur le terrain de la contribution des ces deux genres de discours à une problématique de la validation. Cette opposition, comme cela est le plus souvent oublié, affecte aussi bien la question de la preuve que celle de la réfutation. Ainsi le traitement ad hoc des contre-exemples par les élèves, dont rendent compte diverses recherches expérimentale, suggère que les contre-exemples sont vus comme des objections plus que comme des réfutations indices d'une contradiction.
L'argumentation, une problématique issue de l'étude des productions verbales
Les rapports entre argumentation et démonstration sont un objet d'étude ancien dans une perspective cognitive et linguistique. Il s'agit alors d'explorer la complexité cognitive de chaque genre, le rapport à la connaissance qu'il implique ou favorise, appuyant l'étude sur l'analyse du texte et des usages de la langue. Pour situer la problématique de tels approches, en reprenant à mon compte une formulation de Jean-Blaise Grize : argumenter est sans doute une activité finalisée, mais c'est une activité discursive (le discours étant quoiqu'il en soit compris comme une activité sociale).Argumentation et démonstration se trouveraient moins distingués par le genre des textes correspondants -- Raymond Duval soulignera que la distance discursives entre eux est faible -- que par le statut et le fonctionnement des énoncés, et donc finalement celui de la connaissance mise en jeu. L'argumentation, parce que son fonctionnement semble émerger naturellement des pratiques communes de discours ne permettrait pas l'identification de la modification du statut et du fonctionnement de la connaissance que requiert le travail mathématique, et en retour la modification de fonctionnement du discours lui-même.
L'examen des rapports de l'argumentation et de la démonstration dans cette approche centrée sur l'analyse du discours me paraît conforter la conjecture d'un rapport conflictuel entre les deux genres lorsque l'on se place dans une perspective d'apprentissage des mathématiques. Raymond Duval en conclura que "le développement de l'argumentation même dans ses formes les plus élaborées n'ouvre pas la voie vers la démonstration. Un apprentissage spécifique et indépendant est nécessaire en ce qui concerne le raisonnement déductif" (utilisant ici, à mon avis à tort, raisonnement déductif comme synonyme de démonstration). Il en conclut que la démonstration relève d'un apprentissage "spécifique et indépendant".
Pourtant, l'étude naturaliste des interactions dans la classe, telle que la conduit par exemple Paul Cobb et son équipe, suggère la possibilité d'une argumentation mathématique à laquelle les élèves accèderaient par la pratique de discussions réglées par des normes socio-mathématiques (sociomathematical norms) qui émergeraient des interactions entre l'enseignant et les élèves (l'enseignant étant regardé comme un représentant la communauté mathématique). Dans cette approche construction d'une rationalité mathématique (la démonstration n'est cependant pas enseignée en tant que telle) et argumentation sont étroitement liées.
Différentes conceptions théoriques de l'argumentation
La diversité que nous pouvons percevoir des problématiques de l'argumentation et de ses rapports aux mathématiques, notamment à la démonstration, est à mon sens fondamentalement due à des différences profondes entre les recherches théoriques dans ce domaine. Je ne ferai pas ici une analyse des diverses problématiques de l'argumentation, mais en m'appuyant sur la synthèse proposée par Christian Plantin dans ses Essais sur l'argumentation, je vais essayer de donner une idée de l'importance d'une prise en compte de cette diversité. Trois auteurs, par le contraste de leurs problématiques et leur distance, peuvent être retenus pour constituer un système de repères par rapports auxquels on pourra situer les travaux sur l'argumentation : Chaïm Perelman, Stephen Toulmin et Oswald Ducrot.A la suite de Perelman on considérera que l'argumentation est moins caractérisée par la prise en charge de son objet que par celle de son auditoire, elle est moins finalisée par l'établissement de la validité d'un énoncé que par la capacité à obtenir l'adhésion d'auditoire. En reprenant la formulation de Plantin, un énoncé dans cette conception a une valeur de raison, voire de vérité, dès lors qu'un individu l'accepte.
Toulmin, en revanche, rapporte la validité d'un énoncé d'abord à celle de la structure du discours (sa rationalité) qui la défend et donc fait fondamentalement dépendre cette validité de celle des prémisses au sein d'une communauté (d'un domaine) de référence dès lors que cette communauté s'accorderait sur les règles.
"[Une argumentation], c'est l'exposition d'une thèse controversée, l'examen de ses conséquences, l'échange de preuves et des bonnes raisons qui la soutiennent, et une clôture bien ou mal établie".Indépendamment des domaines, le discours argumentatif est organisé sur un mode ternaire permettant le passage de données à une conclusion sous le contrôle le plus souvent implicite d'une "licence d'inférer" (ce schéma peut être augmenté d'indicateurs de force ou de restriction permettant de prendre en compte une incertitude possible sur l'inférence).
Ducrot place l'argumentation au cur de l'activité de parole. Comme le souligne Plantin, on ne peut pas, dans cette problématique, "ne pas argumenter". La structure de la suite des arguments joue un rôle déterminant : la force d'un argument ne viendra ni de caractéristiques "naturelles" ni de caractéristiques rationnelles, mais de sa place dans l'énoncé. C'est par la structure que l'on signifie, que l'on montre une orientation qui permet de recevoir "r comme la visée intentionnelle de P", ou "R comme une suite possible de P". L'analyse des connecteurs (mots de liaison) prend avec Ducrot un importance particulière parce que ce sont eux qui mettent les informations contenues dans un texte au service de son intention argumentative globale. La polyphonie des connecteurs, enfin, permet de mettre en scène dans le discours non seulement le locuteur mais aussi son protagoniste potentiel, "P mais Q" suggère un sujet adhérant à P auquel le locuteur objecte Q.
Nous remarquons que la référence à l'une ou l'autre de ces conceptions de l'argumentation est susceptible de nous faire adopter une position différente quant à ce que peut représenter l'argumentation dans la pratique des mathématiques, notamment avec une visée d'enseignement et en relation avec la démonstration. En se plaçant dans la suite de Toulmin il paraît possible d'envisager une solution de continuité de l'argumentation à la démonstration, et pourquoi pas de considérer la démonstration comme un genre argumentatif particulier (j'ignore si Toulmin marquait entre argumentation et démonstration (mathematical proof) l'opposition que soulignent les autres approches). En revanche l'existence d'une telle solution paraît douteuse lorsqu'on se place dans le cadre proposé par Perelman ou Ducrot.
Les risques de la reconnaissance d'une "argumentation mathématique"
Ma position à ce moment de ma réflexion me porterait à considérer qu'il y a dans l'argumentation un double mouvement de persuasion et de validation. Si on peut en douter dans certaines disputes dans lesquelles la bonne foi n'est pas de rigueur, on peut en revanche en faire l'hypothèse dans une perspective scientifique excluant la tricherie et le mensonge (position idéale sans laquelle notre objet perdrait tout sens).- L'argumentation cherche à emporter l'adhésion d'un auditoire, mais est-ce à dire avec Perelman qu'elle ne se réduirait qu'à cela ?
- L'argumentation met en scène un objet, la validité d'un énoncé. Mais les sources de la compétence argumentative sont dans la langue naturelle et dans des pratiques dont les règles sont le plus souvent d'une nature profondément différente de celles que requièrent les mathématiques, et qui portent la marque profonde des interlocuteurs et des circonstances. Dans cette mesure je dirais volontiers que les cadres théoriques de Toulmin et Ducrot, de façon cependant moins radicale que Perelman, donnent encore une place centrale aux interactions et régulations sociale (mais peut être Ducrot protesterait-il sur ce point). Or, si l'on postule la sincérité des interlocuteurs dans le champ des pratiques scientifique, l'argumentation devra satisfaire les conditions d'une entrée dans une problématique de connaissance qui implique la décontextualisation du discours, l'effacement de l'acteur et de la durée. Toutes conditions qui vont finalement à l'encontre de la nature profonde de l'argumentation quelle que soit la problématique que l'on veuille lui associer.
S'il n'y a pas d'argumentation mathématique, il existe pourtant une argumentation en mathématiques. La résolution de problèmes, dans laquelle je dirais volontiers que tous les coups sont permis, est le lieu où peuvent se développer des pratiques argumentatives reprenant des moyens opérationnels ailleurs (métaphore, analogie, abduction, induction, etc.) qui s'effaceront lors de la construction du discours qui seul sera acceptable au regard des règles propres aux mathématiques. Je résumerai en une formule la place que je crois possible pour l'argumentation en mathématiques, allant dans le sens du concept d'unité cognitive des théorèmes forgé par nos collègues italiens :
Une conséquence que certains jugeront catastrophique est que comme la résolution de problème, l'argumentation sera rebelle à toute tentative d'enseignement direct (bien sûr, je ne confonds pas ici apprentissage de l'argumentation et apprentissage de la rhétorique).
L'argumentation, obstacle épistémologique à l'apprentissage de la démonstration
En conclusion de ce court essai, dans une perspective d'apprentissage, j'en viens à ne soutenir ni la thèse de la continuité ni celle de la rupture entre argumentation et démonstration (ou preuve en mathématique), mais à proposer de reconnaître l'existence d'une relation complexe et constitutive du sens de chacune : l'argumentation se constitue en un obstacle épistémologique à l'apprentissage de la démonstration, et plus généralement de la preuve en mathématique.Comprendre la démonstration c'est d'abord construire un rapport particulier à la connaissance en tant qu'enjeu d'une construction théorique, et donc c'est renoncer à la liberté que l'on pouvait se donner, en tant que personne, dans le jeu d'une argumentation. Parce que ce mouvement vers la rationalité mathématique ne peut être accompli qu'en prenant effectivement conscience de la nature de la validation dans cette discipline, il provoquera la double construction de l'argumentation et de la démonstration. L'argumentation dans la pratique commune est spontanée, comme le soulignent ceux qui travaillent le discours. Forgée dans les échanges familiaux, dans la cour de l'école, dans des circonstances multiples et souvent anodines, la compétence argumentative de l'élève est à l'image des pratiques familières : elle va de soi. La classe de mathématique est l'un des lieux où l'existence de cette pratique peut être révélée parce que soudain elle apparaît inadéquate (mais les situations pour susciter cette prise de sonscience sont difficiles à construire). Ce serait même à mes yeux une erreur de caractère épistémologique que de laisser croire aux élèves, par quelque effet jourdain, qu'ils seraient capables de production de preuve mathématique quant ils n'auraient qu'argumenté.
Enfin, et il s'agit là d'une point que je n'ai pas abordé mais que l'on ne peut oublier, le point fort qui sépare l'argumentation et la démonstration est la nécessité pour cette dernière d'exister relativement à une axiomatique explicite. Peut être parce que le temps des mathématiques modernes a laissé de trop mauvais souvenirs, l'idée de lier démonstration et axiomatique paraît le plus souvent susciter l'inquiétude sinon une ferme opposition, et pourtant : pourra-on longtemps faire autrement sans réduire la démonstration à une rhétorique particulière ou les mathématiques à un jeu de langage ?
Quelques lectures
Ducrot O. (1980) Les échelles argumentatives. Paris : les éditions de Minuit.Duval R. (1991) Structure du raisonnement déductif et apprentissage de la démonstration. Educational Studies in Mathematics 22(3) 233-261.
Duval R. (1992) Argumenter, démontrer, expliquer : continuité ou rupture cognitive ? Petit X 31, 37-61.
Perelman Ch. (1970) Le champ de l'argumentation. Bruxelles : Presses Universitaires.
Plantin C. (1990) Essais sur l'argumentation. Paris : Editions Kimé.
Yackel E, Cobb P. (1996) Sociomathematical norms, argumentation, and autonomy in mathematics. Journal for Research in Mathematics Education 27(4) 458-477.
mercredi 27 juin 2012
Ma thématique, la didactique, l'informatique aussi
Les mathématiques sont, pour la didactique de cette discipline, un objet d'étude sous les contraintes particulières des problématiques de l'apprentissage et de l'enseignement. Elles peuvent aussi être un outil pour la recherche en didactique, pour comprendre les enjeux de contenu et comme un outil de modélisation. C'est à ce point que l'informatique, en tant que science et technologie, apparait avec toute sa puissance, au-delà des rêves d'innovation qui souvent paraissent en constituer la justification.
Conférence donnée lors des
Journées EducTICE Lyon, juin 2011
dimanche 6 mai 2012
Note pour un débat "provocateur" sur la formation ouverte et à distance (FOAD)
Texte d'introduction à une contribution à la table ronde "Provocateur" du Symposium International Distances et savoirs, 10-11 décembre 2009, CNED Poitiers.
La formation à distance, depuis les origines, a exigé de ceux qui la mettent en œuvre -- comme de ceux qui en bénéficient -- la compréhension des circonstances particulières de son fonctionnement qui substitue à « ici et maintenant » un « où et quand on veut » qui remet en question les modalités habituelles de l’enseignement et de l’apprentissage. La formation à distance est ainsi provocatrice parce qu’elle est source de contraintes à l’origine de questions et de remises en questions des pratiques communes.
La distance est au cœur des problématiques de l’enseignement et de la formation. Le maître dans les temps anciens marquait la distance en montant en chaire, plus récemment, au début du siècle dernier, l’estrade était fréquente. Ces dispositifs soulignaient une place différente relativement au savoir. On a peu à peu supprimé ces barrières matérielles, cependant symboliques ; mais si le professeur est « descendu » dans la salle de classe, une distance subsiste. Au fond, la première question que la formation à distance soulève est celle de savoir ce qui est mis à distance. Contrairement aux apparences, ce n’est pas le professeur ou l’enseignant, mais le savoir lui-même -- l’enjeu des apprentissages. D’ailleurs, ne parle-t-on pas d’accès à la connaissance, d’accès au savoir. Un accès rendu possible à « tous » dans la mesure où les contraintes économiques et d’infrastructure auraient été levées. L’enjeu de la formation à distance est donc d’élargir les possibilités d’accès à la formation et à la connaissance, et ce à quoi vont être attentifs les utilisateurs – professeurs, élèves ou familles – c’est la possibilité par ce moyen d’obtenir les diplômes et qualifications recherchés.
J’apporterai ici l’illustration de mon propre témoignage, à propos du projet TéléCabri que j’ai conduit dans les années 90 dans le cadre de l’hôpital de Grenoble. Il s’agissait de mettre en place une infrastructure et des pratiques pour, en s’appuyant sur les technologies de la distance, permettre à des enfants hospitalisés pour des durées significatives de recevoir des enseignements équivalents à ceux qu’ils auraient eu dans leur établissement. La principale spécification du projet, pris dans son ensemble, était que les élèves puissent retourner dans leur établissement d’origine sans pâtir d’une rupture de scolarité (les carnets de notes et autre bulletins circulant entre structure hospitalière et structure scolaire). Les parents, comme les élèves et les enseignants intervenants ne posaient pas de questions sur la technologie et la distance, mais sur l’efficacité d’un dispositif qui était pour l’essentiel transparent à leurs yeux. Ainsi, le critère de succès du projet était la transparence du dispositif technique aux yeux de ses utilisateurs. Le sentiment de distance doit s’effacer au profit de la seule problématique d’apprentissage. Ce qui est provocateur, c’est que le succès de la formation à distance réside dans sa disparition en tant que problématique propre de l’apprentissage ou de l’enseignement, ne subsistant que les contraintes de temps et d’espace à traiter pour telles mais en quelque sorte en arrière plan. En revanche, reste au premier plan la question des rapports entre la technologie et les savoirs dans un contexte d’enseignement et d’apprentissage.
A ce point je voudrais faire une remarque sur la différence d’évolution des vocabulaires dans la sphère anglophone et francophone. Dans le premier cas s’est imposée, sous l’impulsion principalement de la commission européenne, l’expression « technology enhanced learning (TEL) ». Dans la sphère francophone, depuis la fin des années 90 [*], s’est imposée l’expression « environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) ». Je mets le mot « pour » en italique parce que c’est le mot essentiel, celui par qui les difficultés arrivent. En effet, on peut mettre en rapport moyens informatiques et apprentissage, et observer que l’immersion technologique conduit à des apprentissages (a posteriori). Une difficulté surgit, lorsque l’on prétend que ces environnements informatiques ont été conçus « pour » un apprentissage, car alors il faut être capable de justifier de ce que les apprentissages recherchés (a priori) ont été obtenus. Le programme scientifique auquel renvoie le sigle « EIAH » est ainsi autrement ambitieux que celui des « TEL ». Il poursuit en fait le projet initial des « tuteurs intelligents » que l’on a trop vite abandonné devant les difficultés auxquelles les chercheurs en informatique et en éducation étaient confrontés. Les EIAH ne sont cependant pas synonymes des tuteurs intelligents, la problématique englobe aussi bien les tuteurs que les micromondes, la formation à distance les didacticiels. Les EIAH n’auraient au fond à satisfaire que la contrainte de « connaissance », enjeu de l’apprentissage, mais il faut qu’ils ne l’oublient pas. C’est parce que cette contrainte a été mal spécifiée, ou trop rapidement, que Logo fut à la fois un grand succès et un grand échec. Un grand échec parce que finalement Logo a à peu près disparu des classes, faute de trouver sa place dans la caisse à outils qui permet de réaliser les prescriptions du curriculum scolaire. Certes Logo permet d’exprimer la créativité intellectuelle, et d’apprendre des concepts sophistiqués telle la programmation ou la géométrie, mais avec un décalage toujours sensible par rapport aux disciplines scolaires – la géométrie sous-jacente à Logo est la géométrie différentielle (le cercle est une figure à courbure constante) alors que la référence de la géométrie scolaire est la géométrie d’incidence et euclidienne (le cercle est l’ensemble des points à même distance d’un point donné). Pour autant, Logo est un grand succès parce qu’il a forgé le concept de micromonde et ouvert une problématique innovante qui a conduit à des réalisations telle celle de Cabri-géomètre, un micromonde de géométrie élémentaire dont l’interface offre un accès direct aux objets et à leurs relations. L’analyse des deux environnements du point de vue de la connaissance qu’ils engagent et de son rapport aux curricula permet de comprendre leurs réceptions différentes par les institutions scolaires.
Ainsi, la question de la distance ne prend de l’importance que dans la mesure où elle est à l’origine d’incertitudes, de questions sur l’accès aux savoirs en termes d’apprentissage et de leur validation. Ces questions sont intelligibles lorsque la distance est exprimée par des contraintes qui s’exercent sur la communication entre l’enseignant et les élèves, les élèves entre eux, l’accès à une représentation des savoirs en jeu ou aux activités qui les impliquent. Les technologies ont d’abord permis de dépasser les contraintes de l’éloignement géographique en gérant celles temporelles liées à la production des supports de formation et à leur acheminement. Les technologies contemporaines ont diminué sensiblement les contraintes géographiques et fait apparaitre les contraintes topologique, en même temps qu’elles mettaient au second plan les contraintes temporelles d’acheminement pour ouvrir sur celle de la gestion des relations entre temps de l’institution et temps de l’apprentissage, synchronie et asynchronie des échanges, ubiquité des ressources et permanence de leur disponibilité. L’idée même de distance devient seconde, elle cède la place à celle d’espace pour l’apprentissage (learning space) qui associe des espaces numériques et des espaces matériels, des structures sociales réglées par des institutions (e.g. l’école, la classe) ou par des processus sociaux instrumentés (e.g. communautés d’apprentissage) qui émergent des interactions sur Internet.
Au fond, la distance a disparu et les problématiques d’enseignement avec elle, au sens ancien de la malle-poste. Une autre problématique est apparue, celle d’espace d’apprentissage dont les propriétés essentielles sont topologiques et temporelles, plus que géographiques et chronologiques. Cet espace doit avoir des propriétés écologiques assurant la viabilité des processus d’apprentissage d’une connaissance donnée et de leur reconnaissance (certification). La mobilité des supports, la convergence entre téléphonie et informatique, l’accroissement des ressources en libre accès, la convergence des bibliothèques et des systèmes d’information, l’émergence d’une informatique ambiante (coordonnant des capteurs et exploitant leurs données) ouvrent sur une perspective nouvelle et des problématiques pour lesquelles la seule reproduction dans l’espace numérique des modèles de la classe inscrits dans l’espace architectural et institutionnel de l’école, ne sera plus suffisante.
[*] Cette expression est pour la première fois utilisée dans les actes des journées du PRC Intelligence Artificielle tenues à Grenoble en 1997. Elle est née en 1993 d’une réponse apportée par l’équipe grenobloise à une question posée par le comité scientifique de l’IMAG (fédération de laboratoires d’informatique et mathématiques appliquées de l’époque). J’avais pensé que par une telle expression on mettrait mieux en évidence notre projet scientifique en plaçant très précisément le défi dans la finalisation didactique de ces environnements. L’équipe EIAH a été créée dans le cadre du laboratoire Leibniz en 1995.
La formation à distance, depuis les origines, a exigé de ceux qui la mettent en œuvre -- comme de ceux qui en bénéficient -- la compréhension des circonstances particulières de son fonctionnement qui substitue à « ici et maintenant » un « où et quand on veut » qui remet en question les modalités habituelles de l’enseignement et de l’apprentissage. La formation à distance est ainsi provocatrice parce qu’elle est source de contraintes à l’origine de questions et de remises en questions des pratiques communes.
La distance est au cœur des problématiques de l’enseignement et de la formation. Le maître dans les temps anciens marquait la distance en montant en chaire, plus récemment, au début du siècle dernier, l’estrade était fréquente. Ces dispositifs soulignaient une place différente relativement au savoir. On a peu à peu supprimé ces barrières matérielles, cependant symboliques ; mais si le professeur est « descendu » dans la salle de classe, une distance subsiste. Au fond, la première question que la formation à distance soulève est celle de savoir ce qui est mis à distance. Contrairement aux apparences, ce n’est pas le professeur ou l’enseignant, mais le savoir lui-même -- l’enjeu des apprentissages. D’ailleurs, ne parle-t-on pas d’accès à la connaissance, d’accès au savoir. Un accès rendu possible à « tous » dans la mesure où les contraintes économiques et d’infrastructure auraient été levées. L’enjeu de la formation à distance est donc d’élargir les possibilités d’accès à la formation et à la connaissance, et ce à quoi vont être attentifs les utilisateurs – professeurs, élèves ou familles – c’est la possibilité par ce moyen d’obtenir les diplômes et qualifications recherchés.
J’apporterai ici l’illustration de mon propre témoignage, à propos du projet TéléCabri que j’ai conduit dans les années 90 dans le cadre de l’hôpital de Grenoble. Il s’agissait de mettre en place une infrastructure et des pratiques pour, en s’appuyant sur les technologies de la distance, permettre à des enfants hospitalisés pour des durées significatives de recevoir des enseignements équivalents à ceux qu’ils auraient eu dans leur établissement. La principale spécification du projet, pris dans son ensemble, était que les élèves puissent retourner dans leur établissement d’origine sans pâtir d’une rupture de scolarité (les carnets de notes et autre bulletins circulant entre structure hospitalière et structure scolaire). Les parents, comme les élèves et les enseignants intervenants ne posaient pas de questions sur la technologie et la distance, mais sur l’efficacité d’un dispositif qui était pour l’essentiel transparent à leurs yeux. Ainsi, le critère de succès du projet était la transparence du dispositif technique aux yeux de ses utilisateurs. Le sentiment de distance doit s’effacer au profit de la seule problématique d’apprentissage. Ce qui est provocateur, c’est que le succès de la formation à distance réside dans sa disparition en tant que problématique propre de l’apprentissage ou de l’enseignement, ne subsistant que les contraintes de temps et d’espace à traiter pour telles mais en quelque sorte en arrière plan. En revanche, reste au premier plan la question des rapports entre la technologie et les savoirs dans un contexte d’enseignement et d’apprentissage.
A ce point je voudrais faire une remarque sur la différence d’évolution des vocabulaires dans la sphère anglophone et francophone. Dans le premier cas s’est imposée, sous l’impulsion principalement de la commission européenne, l’expression « technology enhanced learning (TEL) ». Dans la sphère francophone, depuis la fin des années 90 [*], s’est imposée l’expression « environnements informatiques pour l’apprentissage humain (EIAH) ». Je mets le mot « pour » en italique parce que c’est le mot essentiel, celui par qui les difficultés arrivent. En effet, on peut mettre en rapport moyens informatiques et apprentissage, et observer que l’immersion technologique conduit à des apprentissages (a posteriori). Une difficulté surgit, lorsque l’on prétend que ces environnements informatiques ont été conçus « pour » un apprentissage, car alors il faut être capable de justifier de ce que les apprentissages recherchés (a priori) ont été obtenus. Le programme scientifique auquel renvoie le sigle « EIAH » est ainsi autrement ambitieux que celui des « TEL ». Il poursuit en fait le projet initial des « tuteurs intelligents » que l’on a trop vite abandonné devant les difficultés auxquelles les chercheurs en informatique et en éducation étaient confrontés. Les EIAH ne sont cependant pas synonymes des tuteurs intelligents, la problématique englobe aussi bien les tuteurs que les micromondes, la formation à distance les didacticiels. Les EIAH n’auraient au fond à satisfaire que la contrainte de « connaissance », enjeu de l’apprentissage, mais il faut qu’ils ne l’oublient pas. C’est parce que cette contrainte a été mal spécifiée, ou trop rapidement, que Logo fut à la fois un grand succès et un grand échec. Un grand échec parce que finalement Logo a à peu près disparu des classes, faute de trouver sa place dans la caisse à outils qui permet de réaliser les prescriptions du curriculum scolaire. Certes Logo permet d’exprimer la créativité intellectuelle, et d’apprendre des concepts sophistiqués telle la programmation ou la géométrie, mais avec un décalage toujours sensible par rapport aux disciplines scolaires – la géométrie sous-jacente à Logo est la géométrie différentielle (le cercle est une figure à courbure constante) alors que la référence de la géométrie scolaire est la géométrie d’incidence et euclidienne (le cercle est l’ensemble des points à même distance d’un point donné). Pour autant, Logo est un grand succès parce qu’il a forgé le concept de micromonde et ouvert une problématique innovante qui a conduit à des réalisations telle celle de Cabri-géomètre, un micromonde de géométrie élémentaire dont l’interface offre un accès direct aux objets et à leurs relations. L’analyse des deux environnements du point de vue de la connaissance qu’ils engagent et de son rapport aux curricula permet de comprendre leurs réceptions différentes par les institutions scolaires.
Ainsi, la question de la distance ne prend de l’importance que dans la mesure où elle est à l’origine d’incertitudes, de questions sur l’accès aux savoirs en termes d’apprentissage et de leur validation. Ces questions sont intelligibles lorsque la distance est exprimée par des contraintes qui s’exercent sur la communication entre l’enseignant et les élèves, les élèves entre eux, l’accès à une représentation des savoirs en jeu ou aux activités qui les impliquent. Les technologies ont d’abord permis de dépasser les contraintes de l’éloignement géographique en gérant celles temporelles liées à la production des supports de formation et à leur acheminement. Les technologies contemporaines ont diminué sensiblement les contraintes géographiques et fait apparaitre les contraintes topologique, en même temps qu’elles mettaient au second plan les contraintes temporelles d’acheminement pour ouvrir sur celle de la gestion des relations entre temps de l’institution et temps de l’apprentissage, synchronie et asynchronie des échanges, ubiquité des ressources et permanence de leur disponibilité. L’idée même de distance devient seconde, elle cède la place à celle d’espace pour l’apprentissage (learning space) qui associe des espaces numériques et des espaces matériels, des structures sociales réglées par des institutions (e.g. l’école, la classe) ou par des processus sociaux instrumentés (e.g. communautés d’apprentissage) qui émergent des interactions sur Internet.
Au fond, la distance a disparu et les problématiques d’enseignement avec elle, au sens ancien de la malle-poste. Une autre problématique est apparue, celle d’espace d’apprentissage dont les propriétés essentielles sont topologiques et temporelles, plus que géographiques et chronologiques. Cet espace doit avoir des propriétés écologiques assurant la viabilité des processus d’apprentissage d’une connaissance donnée et de leur reconnaissance (certification). La mobilité des supports, la convergence entre téléphonie et informatique, l’accroissement des ressources en libre accès, la convergence des bibliothèques et des systèmes d’information, l’émergence d’une informatique ambiante (coordonnant des capteurs et exploitant leurs données) ouvrent sur une perspective nouvelle et des problématiques pour lesquelles la seule reproduction dans l’espace numérique des modèles de la classe inscrits dans l’espace architectural et institutionnel de l’école, ne sera plus suffisante.
[*] Cette expression est pour la première fois utilisée dans les actes des journées du PRC Intelligence Artificielle tenues à Grenoble en 1997. Elle est née en 1993 d’une réponse apportée par l’équipe grenobloise à une question posée par le comité scientifique de l’IMAG (fédération de laboratoires d’informatique et mathématiques appliquées de l’époque). J’avais pensé que par une telle expression on mettrait mieux en évidence notre projet scientifique en plaçant très précisément le défi dans la finalisation didactique de ces environnements. L’équipe EIAH a été créée dans le cadre du laboratoire Leibniz en 1995.
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