dimanche 3 mars 2019

En hommage à Rosamund Sutherland, chercheuse et citoyenne

Lire [ici] le texte collectif préparé par Andrew Pollard, université de Bristol  -- an other blog post in English [here].
 
On se souvient de la publication en anglais, en 1997, d’un ouvrage qui rassemblait les textes fondateurs de la Théorie des Situations Didactiques. Ce fut l’une des contributions importantes au rayonnement de la recherche en didactique des mathématiques née en France à la fin des années 70. Rosamund Sutherland fut l’une des artisanes de cette entreprise éditoriale. Elle rejoignit l’équipe qui réalisait cette traduction avec deux convictions : l’une était celle de l’importance de développer une théorie en interaction étroite avec des travaux expérimentaux sous les contraintes de l’institution scolaire, l’autre était celle de la nécessité de construire une problématique fondée sur l’épistémologie des mathématiques et la prise en compte de la complexité de l’enseignement qui inclut les élèves et l’enseignant. J’ai été le témoin, depuis notre première rencontre en 1985, du cheminement qui a forgé cette conviction. Il était guidé par l’écoute des autres chercheurs au sein de la communauté internationale, dont on sait que le plus souvent elle n’allait pas de soi, et la préoccupation constante de faire œuvre utile pour les élèves et les enseignants.


Rosamund Sutherland, professeure de l’Université de Bristol, est décédée à l'âge de 72 ans. Ses recherches sur l’enseignement et l’apprentissage des mathématiques avaient pour priorité de relever le défi des inégalités scolaires et sociales. Elle s’est attachée tout au long de sa carrière scientifique à montrer que tous les élèves peuvent aller au-delà des attentes avec le soutien d'enseignants bien formés et des opportunités nouvelles créées par les technologies numériques.

 Rosamund faisait partie des pionniers de l’exploration du potentiel des technologies éducatives. Sa première expérience professionnelle fut celle de la programmation chez Bristol Aerospace, travaillant sur le Concorde, puis elle occupa un poste de statisticienne à l'université travaillant sur l'analyse des données d'une expédition trans-antarctique de 1953. Ces premiers emplois témoignent de son expérience en mathématiques et en informatique ainsi que de sa curiosité intellectuelle. Mais son désir était de faire de la recherche, comme elle le confia lors de sa Valedictory lecture (écouter ci-dessous). Aussi, en 1983, est-ce sans hésiter qu’elle accepta l’invitation de Celia Hoyles à s’associer à un projet visant à étudier la façon dont un langage de programmation pourrait contribuer à l’éducation mathématique. Ce fut le début du Logo Math Project et celui d’une longue collaboration avec l’équipe du London Institute of Education.

 En 1995, Rosamund rejoint l’université de Bristol où elle est recrutée sur une chaire de professeure en éducation. Elle a dirigé la Bristol Graduate School of Education de 2003 à 2006 et présidé le Joint Mathematical Council Britannique de 2006 à 2009. Ses travaux étaient reconnus internationalement pour sa contribution à la recherche sur l'apprentissage de l'algèbre et sur plusieurs questions soulevées par l’usage des technologies numériques. Ses recherches sur Logo associaient algèbre, programmation et géométrie. Plus tard, au début des années 90, elle fut l’une des premières collaboratrices internationales du projet Cabri-géomètre. Au début des années 2000, elle collabora au projet Aplusix, un environnement informatique pour l’apprentissage de l’algèbre élémentaire. Enfin, je me souviens de la participation enthousiaste de Rosamund au projet européen Baghera, projet un peu aventureux, qui associait didacticiens des mathématiques, logiciens et informaticiens. Son pragmatisme scientifique n’était un obstacle ni aux ambitions d’avant-garde, ni aux échanges les plus théoriques. Mais avec un principe toujours affirmé : ce sont les mathématiques qui doivent guider la conception et l’usage des technologies d’apprentissage et la vision du numérique éducatif du futur doit intégrer l’enseignant en tant que professionnel et orchestrateur de l'apprentissage.

Passionnée et engagée, Rosamund était consciente de l’importance de l’action collective. Aussi n’a-t-elle pas hésité à consacrer du temps et des efforts pour le succès du réseau d’excellence européen Kaléidoscope (2004-2007), en tant que membre très actif du noyau fondateur puis, en tant que cofondatrice, à la réussite du réseau d’excellence européen Stellar (2009-2012) dont les partenaires ont unanimement reconnu son leadership scientifique. En 2017, elle accomplit sa dernière tâche pour le réseau Stellar avec la publication  du livre « Technology Enhanced Learning - Research Themes » préparé avec Mike Sharples et Erik Duval. Ainsi pris fin son engagement généreux et constant pour la communauté scientifique internationale.

Rosamund était attachée au maintien d’une interaction forte entre recherche et pratique de l’enseignement. Elle concevait ses projets avec les enseignants « because the teacher is central », insistait-elle. Lors de son séjour à Grenoble, soutenu par une bourse CNRS en sciences cognitives, au début des années 90, elle a principalement travaillé en classe avec Bernard Capponi, l’un des artisans de l’utilisation des technologies à l’IREM de Grenoble. Elle consacrait du temps à la réflexion théorique dans la mesure où cela permettait de comprendre la classe comme un système complexe où l'apprentissage et l'enseignement ont lieu et interagissent de manière productive. Que ce soit au Mexique, en France ou au Rwanda, l’action prévalait sur la publication et le discours. Comme elle le dit en guise de conclusion de son exposé magistral : « as an academic it sometimes feels as if writing does not achieve very much. What is needed is practical action on the ground and this is what I plan to keep doing for the foreseeable future. »

Au cours des dernières années, Rosamund s’est consacrée à l’action éducative pour élaborer de nouvelles stratégies de coopération dans sa ville. Sa contribution, au sein de l'association caritative South Bristol Youth, réseau collaboratif associant les écoles du sud de Bristol, les deux universités de la ville et un large panel de partenaires, a été particulièrement significative. Les programmes, construits sur l’analyse des données rassemblées par South Bristol Youth, permettent désormais de concrétiser les compétences, la confiance en soi et les réalisations des jeunes de Bristol sud. En 2014, dans son livre, « Education and Social Justice in a Digital Age », Rosamund souligne l'importance de donner à tous les jeunes la possibilité d'acquérir des connaissances scolaires solides et efficaces. L’un de ses derniers projets est le programme Future Brunels qui encourage les jeunes à faire carrière dans les sciences et l’ingénierie. En tant que sociétaire du SS Great Britain Trust, Rosamund a joué un rôle essentiel dans ce programme. La mise en berne des drapeaux du grand navire, fierté de la ville de Bristol, à l’annonce de son décès en témoigne.

Les funérailles de Rosamund Sutherland auront lieu à Bristol le 8 mars 2019. Un hommage peut être rendu en faisant un don au Rosamund Sutherland Memorial Fund par l'intermédiaire de JustGiving afin de marquer le soutien à l’engagement de Rosamund pour aider les jeunes issus de milieux défavorisés à réaliser leur aspiration à poursuivre des études supérieures ou à une formation continue :

https://www.justgiving.com/fundraising/rosamundsutherlandmemorialfund
Adresser les condoléances et témoignages à  <ed-rosamund@bristol.ac.uk>

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