mardi 21 avril 2015

cKȼ, origine, cadrage théorique, utilisations et questions

Merci au laboratoire de didactique André Revuz (LDAR) pour m'avoir donné l'occasion de préciser le modèle de connaissance cKȼ, sa place dans le paysage didactique et de donner des exemples de son utilisation. Le support l'exposé est maintenant disponible sur le site de Slideshare et ci-dessous :

cKȼ (pour conception, connaissance, concept) est un modèle construit pour formaliser une représentation du couple sujet/milieu dans le cadre de la théorie des situations didactiques. J'avais déjà eu l'occasion d'en présenter les objectifs et les principaux aspects lors d'un cours donné à l'école d'été de didactique des mathématiques en 2003. Le texte de ce cours rédigé avec le soutien actif de Claire Margolinas est maintenant disponible en ligne [ici].

Une première section de mon exposé rappelle l'usage pragmatique du mot "conception" en didactique des mathématiques et le sens que nous lui attribuons dans nos travaux [Artigue 1989]. Je fais ensuite quelques rappels sur la théorie des situations didactique avant de préciser la construction du modèle dont les premiers éléments sont repris de la formalisation de "concept" proposée par Gérard Vergnaud.
   Une première illustration, pour laquelle je reprends les diapositives d'un exposé à PME-NA en 2013 [voir], met en œuvre cKȼ pour caractériser des conceptions de l'addition (composante algorithmique) en mettant bien en évidence ce qui relève de la sphère de pratique, des opérateurs et des contrôles en lien étroit avec les représentations.
   L'illustration suivante est une relecture d'une ingénierie didactique utilisée dans le cadre de mes premiers travaux sur la preuve à propos de la somme des angles d'un triangle. On trouvera une présentation détaillée de cette ingénierie [ici]. Cet exemple permet de montrer comment cKȼ peut faciliter l'analyse a priori et la détermination du jeu sur les contraintes de la situation pour permettre l'évolution d'une conception vers une autre, cette dernière étant une modélisation de l'enjeu d'enseignement.
   Le modèle a été utilisé explicitement pour la première fois dans le cadre de la thèse de Salima Tahri au début des années 90. Il s'agissait d'étudier les décisions d'enseignants pour piloter un apprentissage en géométrie. Nous nous sommes appuyés sur cKȼ pour décrire les conceptions et l'espace de problèmes (construction du symétrique d'un segment, travaux de Denise Grenier), et construire un environnement dans lequel les enseignants devaient diagnostiquer l'état de connaissance des élèves et décider des feedback qui pourraient au mieux permettre leur évolution.
   J'ai ensuite présenté quelques aspects du projet Baghera qui, au début des années 2000, a été la première mise à l'épreuve du modèle sur l'un de ses objectifs : permettre le diagnostic de conceptions pour ensuite calculer des situations d'apprentissage pilotées par un dispositif informatique. On trouve une présentation détaillée de ce projet dans un rapport préparé par Sophie Soury-Lavergne dans le cadre d'un projet européen éponyme [voir]. Ce projet fortement pluridisciplinaire, associant didactique des mathématiques et informatique, et au sein de l'informatique démonstration automatique et systèmes multi-agents, n'a pas pu être poursuivi. Il a cependant montré un bon potentiel et a connu une suite avec la reprise des idées de Baghera à Barcelone par Josep Fortuny et Philippe Richard dans le cadre du projet AgentGeom.
   Je reviens ensuite vers une problématique plus classique de la didactique des mathématiques en citant le travail conduit par Vilma Mesa à Michigan qui a utilisé cKȼ pour analyser des manuels (premiers apprentissages de la notion de fonction). Ce travail de recherche, qui a conduit à une thèse [voir]. L'analyse de Vilma Mesa ne porte pas directement sur les conceptions mais sur celles que les problèmes posés par les manuels pourraient favoriser, il atteste de fait de la dualité conception/problème. Le modèle permet de caractériser les problèmes en termes de connaissance. Cette dualité conception/problème étaient induite par la formalisation et proposée dans le cours de 2003.
   La dernière section de l'exposé revient sur le travail sur l'argumentation et la preuve, pour montrer le caractère instrumental du modèle pour lier preuve et connaissance en s'appuyant sur l'analyse des contrôles. Cet aspect fait actuellement l'objet d'un travail avec Bettina Pedemonte qui propose de construire un cadre d'analyse de l'argumentation en didactique en associant le schéma de Toulmin et cKȼ.
   Je ne pouvais conclure sans évoquer la TAD et notamment les travaux de Marie-Caroline Croset et Hamid Chaachoua pour apporter dans ce cadre une réponse au problème de la modélisation de l'apprenant. Ce problème n'est pas posé de façon naturelle par la TAD et peut même paraître hors sujet si l'on se souvient des principes qui guident l'approche anthropologique du didactique. Il s'impose cependant de façon "pratique" pour lier rapport institutionnel et rapport personnel de façon opérationnelle. Le concept de praxéologie personnelle (initialement praxis-en-acte chez Croset 2010)  peut être une solution, sa relation avec le modèle cKȼ vaut d'être examinée (comme celle de la TSD avec la TAD). Mais ce travail reste à faire.



lundi 30 mars 2015

cKȼ, un modèle de connaissance : spécificité et utilisations

Le laboratoire de didactique André Revuz (LDAR) m'a invité dans le cadre de son séminaire avec un objectif très précis : expliquer les spécificités du modèle de connaissance cKȼ dans le paysage didactique et donner des exemples de son utilisation.  Le résumé de présentation de ce séminaire est tout simplement l'explicitation de cette demande :

"Plusieurs approches théoriques de la connaissance sont mises en oeuvre au sein du laboratoire LDAR, dont des modèles de conceptions, mais les discussions ou exposés à propos de cKȼ soulignent deux difficultés : comprendre les articulations entre cKȼ et les autres approches théoriques, et comprendre ce qu'apporte son utilisation --- en d'autres termes, la question qui se pose est celle de ce qu'on peut attendre de ce modèle en temps que chercheurs. Ces questions semblent plus fortes que des problèmes liés à la technicité du modèle, à proprement parler. Il peut donc être intéressant, et c'est ce que va être tenté, de préciser les hypothèses aux fondements de cKȼ (quel sujet est concerné, quelles hypothèses sur la connaissance...), ses finalités, ainsi que des usages dans différentes directions, permettant de voir son utilisation "en situation" et de cerner ses apports."

L'exposé en cours de préparation comprendra trois parties : (1) la problématique du modèle cKȼ dans le cadre de la théorie des situations didactiques, (2) les hypothèses sous-jacentes à la construction du modèle, (3) la situation du modèle par rapport à d'autres modèles ou théories incluant les problématiques de modélisation de l'apprenant en informatique, (4) une discussion du modèle y compris celle des apports qui pourraient être portés à son crédit.

Le séminaire aura lieu le Vendredi 10 avril 2015, 14h-17h Salle 247E, 2e étage - bât. Halle aux Farines, Paris 13e

Le contenu de l'exposé est pour une part bien décrit dans : Balacheff N., Margolinas C. (2005) cK¢ Modèle des connaissance pour le calcul de situation didactiques. In : Mercier A. & Margolinas C. (eds.) Balises pour la didactique des mathématiques. (pp.1-32). Grenoble : La Pensée Sauvage.

vendredi 9 janvier 2015

Visite à l'UPN, Mexico

Je ne pouvais passer à Mexico en ce début d'année sans rendre visite à Veronica Hoyos à l'Université Pédagogique Nationale (UPN). Notre premier contact remonte au début des années 90, à l'occasion de son long séjour post-doc à Grenoble. Didacticienne des mathématiques, Veronica était intéressée par les EIAH, tout particulièrement Cabri-géomètre. Son intérêt s'est maintenu et a évolué au fil de l'actualité, aussi m'a-t-elle demandé de donner un point de vue sur l'enseignement à distance (en mathématiques et dans le contexte de la formation des maîtres) à l'ère des MOOC ; ce que j'ai fait en accentuant cette fois les aspects liés à la représentation des connaissances et à l'interaction entre les élèves et les enseignants par l'entremise des dispositifs informatiques. Un long séminaire, beaucoup de questions, un beau moment de rencontre dont nous publierons ensemble (en espagnol) les principaux éléments dans les mois qui viennent.


mardi 14 octobre 2014

EIAH, le mots de la recherche (suite)

Ainsi que je l'ai annoncé dans un billet précédent, le 13 octobre, dans le cadre du projet EducMap (PEPS CNRS), Luc Trouche et Olivier Rey ont organisé à l'IFé (ENS de Lyon) le second séminaire "pour une cartographie dynamique des recherches en éducation". J'ai présenté le méta-projet TEL Thesaurus, ses objectifs, sa structure et son état actuel. Je ne sais si cela aura une suite, mais la qualité des échanges de cette journée laisse quelques espoirs.
Par ailleurs, la récente labellisation par l'ANR du projet de réseau de recherche Orphée offre de bonnes perspectives d'avancer significativement la constitution du thésaurus et du dictionnaire des termes de la recherche en EIAH (en anglais, lire TEL voire EdTech).
Je compte que la discussion s'engage rapidement et que des chercheurs intéressés se manifestent pour contribuer à cet effort.



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lundi 29 septembre 2014

Les moocs ou le surgissement de l'économie (libérale)

Le boom des MOOC en 2012 est d'abord un phénomène économique et médiatique, bien qu'il soit souvent identifié comme une révolution pédagogique et un défi lancé aux universités dans les débats et polémiques qui fleurissent à son sujet depuis lors. Invité à donner un point de vue sur l'évolution de l'enseignement à distance lors du "Forum international d’éducation ouverte et en ligne" des entretiens Jacques Cartier (2-3 octobre 2014 à Ottawa), je ne pouvais ignorer les MOOCs, aussi en ai-je fait le point focal de ma présentation. J'en suis venu à la conclusion que d'une part l'enseignement à distance a évolué silencieusement vers ce que j'appellerais les espaces d'apprentissage. Cette évolution a été suscitée par celle des outils, de la distribution et l'interconnexion des ressources, ainsi que le développement des réseaux sociaux. Dans ce contexte, les moocs ne se distinguent que par deux caractéristiques : une durée et une fin liées à la disponibilité des enseignants, et l'échelle potentielle du déploiement. Ils occupent, en complément ou synergie avec d'autres solutions, une place particulière qui les met en concurrence avec le cours oral. Ils ont un fort potentiel pour imposer dans ce créneau un standard : séquences vidéo courtes couvrant un sujet, stimulation de l'écoute attentive (QCM) et support des réseaux sociaux pour l'étude. D'autres standards émergeront de l'industrialisation de l'offre, le besoin d'interfaces et de procédures stables, ainsi que des exigences de jugement des certifications que l'on voudra comparer ou valider.

Les certifications... finalement, au terme de ma réflexion pour préparer cet exposé, le plus frappant aura été de comprendre que la source à la fois des espoirs et des inquiétudes est que les moocs font du diplôme, du certificat ou du "badge" des produits sur le marché de l'éducation et de la formation. Dans ce contexte, l'enseignement serait un moyen dont la valeur est celle de la qualification à laquelle il donne accès. L'économie pourrait alors imposer un standard comme cela est le cas pour d'autres produits...

Entretiens Jacques Cartier
Forum international d’éducation ouverte et en ligne
Jeudi 2 et vendredi 3 octobre 2014, Ottawa

mercredi 10 septembre 2014

À l’ère des MOOC, les universités ont encore un bel avenir

Billet rédigé dans le cadre de la préparation de ma contribution au forum international sur l’éducation ouverte et en ligne organisé dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier début octobre.

Ne pas s’engager dans la voie des moocs pourrait-il être fatal aux universités ? La question revient régulièrement dans la presse et les débats sur ces nouveaux venus dans la pédagogie universitaire. On peut comprendre que, dans un premier temps, la réponse ait pu être positive. La principale raison tient moins à la conviction que les moocs deviendraient le modèle et l’outil de l’enseignement universitaire, qu’à l’émotion suscitée par l’écho dans les médias des premiers succès d’audience, de la mobilisation de capitaux-risqueurs en général peu actifs dans le domaine de l’éducation, et de l’engagement d’universités prestigieuses. Un peu de recul, même celui tout relatif de deux années, suggère une réponse nettement moins tranchée en affirmant d’une part que les moocs ne seront pas le standard de l’enseignement universitaire mais que d’autre part ne pas les prendre en compte comme un outil possible serait fautif et, dans certains cas, pénalisant.

La mission des universités, quelle que soit la structure du système national dans lequel elles opèrent et les modèles économiques associés, est de contribuer à la création de la connaissance et de dispenser un enseignement en relation forte avec cette activité de recherche. Le fond de cette relation ne réside pas dans le texte du savoir que le professeur apporte, un livre ou le film d’un exposé peuvent s’en charger, mais dans la possibilité d’accéder à la compréhension qu’il en a. Cette compréhension est forgée dans une relation intime avec les savoirs, qui évolue dans le temps au fil de sa pratique de la recherche et de l’enseignement. C’est ce champ de la signification que laboure l’enseignant universitaire avec ses étudiants avec pour responsabilité de maitriser savoirs et savoir-faire et d’apporter les moyens de l’apprentissage.
Office Hours
Times when I am available to see students for personal tutorials and topical tutorials. Please re-check this page a day or two before you intend to come as changes to dates & times may be inevitable. My office is HWB 0/52 on the ground floor of the Henry Wellcome Building down the corridor to the right of the deli-bar counter.
L’évolution des universités, ou plus précisément de l’enseignement supérieur, au cours du XX° siècle, est marquée par la “massification” de son public étudiant et la responsabilité d’apporter des compétences professionnelles attendues par le monde industriel et économique. Ainsi, la distance entre l’enseignant et le professeur a-t-elle pu s’accroitre, comme celle entre enseignement et recherche, et le modèle du cours se rigidifier jusqu’à prêter le flanc à la caricature que les plus savants qualifient de béhavioriste. C’est dans ce contexte que les moocs de la première génération, ceux du connectivisme, s’affirment comme les instruments d’un retour aux raisons d’être initiales de l’université :
“MOOCs, on the other hand, share the processes of knowledge work, not just the products. Facilitators model and display sensemaking and wayfinding in their disciplines. They respond to critics and challenges from participants in the course. Instead of sharing only their knowledge as is done in a typical university course, they share their sensemaking habits and their thinking processes with participants.” (McAuley et al. 2010)
Il s'agirait donc de relever un vieux défi, celui de créer les conditions qui, au-delà de la « communication » des savoirs, permettent la « construction » du sens -- en d’autres termes, enseigner sans instruire. L’utilisation du mot « facilitateur » préféré à « professeur » est la marque d’une posture idéologique antiautoritaire, mais au fond c’est bien la figure de l’enseignant universitaire qui est présente. Il est la référence avec tout ce que cela implique de compétence et de responsabilité. Cette légitimité ne peut-être auto-déclarée, elle trouve son origine dans la communauté scientifique et l’institution universitaire, ainsi que dans une pratique exigeante de la recherche. Les moocs n’ont rien en eux-mêmes qui contribue à fonder cette légitimité, ils sont des instruments dont l’efficacité et la qualité sont clairement dépendants de celles des opérateurs humains (professeurs, tuteurs, guides ou facilitateurs).
La place que je donne ici à la légitimité du professeur, qu’il instruise ou facilite l’apprentissage, serait peut être contestée par les inventeurs du connectivisme qui déclarent comme premier principe de cette théorie :
“Learning and knowledge rests in diversity of opinions.” (Siemens 2004, retrieved 140910)
Distinguer « savoirs » et « opinions » est une affaire sérieuse qui ne souffre pas le compromis. Les savoirs scientifiques et techniques sont réglés par des principes de validité – je n’ai pas écrit « vérité » -- qui peuvent être discutés mais dont il est exigé qu’ils soient explicites et publiques, ouverts aux débats contradictoires. Il revient aux communautés responsables des différentes disciplines d’attester des consensus et divergences, et aux institutions universitaires de donner un cadre en quelque sorte juridique et administratif qui acte les arbitrages. Cela n’exclut pas les opinions mais leur donne une place précise dans le débat et la construction des savoirs.

L’université est le lieu où l’on apprend, mais aussi l’institution qui atteste de la qualité et de la validité de cet apprentissage. Diplômes et certificats sont indissociables de la mission universitaire (ce qui n’exclut en aucune manière ce que l’on appelait naguère les « auditeurs libres »). L’évaluation est ainsi une problématique aussi importante que celle de l’apprentissage dans la mission des universités ; évaluation des étudiants, mais aussi celle des moyens et celle des enseignants en charge de leur mise en œuvre. Sur ce terrain les moocs apportent peu de solutions et encore moins d’innovation. Les moocs connectivistes évitent finalement le problème en l’ignorant ou le minimisant, les autres moocs se retournent vers des institutions habilitées dont les universités dans les domaines qui leurs reviennent.

En conclusion, les moocs ne menacent pas les universités sur le terrain qui est le leur parce ce sont elles qui leur apportent légitimité et fiabilité comme instruments d’apprentissage. Le maintien de la proximité humaine entre enseignants et étudiants, avec pour les premiers une légitimité attestée, signifie dans des dispositifs « massifs » un grand nombre de personnels dont les compétences nécessaires sont celles que l’on trouve aujourd’hui dans les universités. L’utilisation des termes « facilitateurs » ou « tuteurs » tendent à le masquer par un effet rhétorique qui doit être dénoncé. Cela ne signifie pas qu’il faille se désintéresser des moocs, de leurs implications économiques ou pédagogiques. Je reviendrai sur ces dernières. Mais il faut les considérer comme des instruments qui augmentent ou complètent la panoplie des technologies actuellement disponibles. Bref, les universités ont encore de beaux jours devant elles, même si elles doivent évoluer au plan structurel et pédagogique, mais cela est la caractéristique de tous les organismes vivants.

[à suivre]

mercredi 3 septembre 2014

Du MOOC au mooc, la banalisation d'un sigle

Billet rédigé dans le cadre de la préparation de ma contribution au forum international sur l’éducation ouverte et en ligne organisé dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier début octobre.

http://www.dunod.com/loisirs-scientifiques-techniques/ouvrages-generaux-dictionnaires/les-moochttp://www.dunod.com/loisirs-scientifiques-techniques/ouvrages-generaux-dictionnaires/les-mooc
Le Monde, Télérama et bien d’autres journaux encore donnent une bonne place aux MOOCs pour inaugurer cette rentrée scolaire et universitaire. Les MOOCs… dernière révolution technologique promise dans le monde de l’enseignement et de l’apprentissage. Enfin… révolution crainte et promise au moment de leur apparition dans le ciel médiatique en 2012, mais probablement à considérer avec plus de nuances après deux années de mobilisation politique et polémique. C’est du moins ce que l’on pourra retenir après la lecture de l'ouvrage « Les MOOC conception, usages et modèles économiques » signé par Jean-Charles Pomerol, Yves Epelboin et Claire Thoury chez Dunod.

Qu’est-ce qu’un MOOC ? Les auteurs apportent une réponse claire et documentée malgré toute la difficulté que l’on peut avoir à prendre le recul nécessaire pour comprendre un phénomène au cœur de l'Actualité éducative mais pas encore passé dans l'Histoire.

Le sigle MOOC (pour Massive Open Online Course) a été forgé à la hâte en 2008 alors que Georges Siemens ouvrait un « cours » en ligne connectiviste sur le connectivisme… Le choix rend compte de l’étonnement devant le succès d’audience de ce cours plus que de son originalité qui est de mettre en œuvre les principes de la théorie en question, notamment : « Learning and knowledge rests in diversity of opinions », « Learning is a process of connecting specialized nodes or information sources ». Il n'y avait donc pas d'obstacle à la reprise de ce même sigle pour désigner un type d’enseignement en ligne totalement différent, un cours d’introduction à l’intelligence artificielle de Sebastian Thrun, dont le succès d’audience est tel que son auteur quitte Stanford pour créer Udacity. Cette fois ce n’est pas la technologie ou la pédagogie qui est le moteur de « l’innovation » mais la perspective économique. D’ailleurs, s’agit-il d’innovation ?

L’analyse de Pomerol et de ses collègues suggère que les MOOC sont dans la continuité du eLearning sous l’impulsion du développement des réseaux sociaux et de celui des ressources pédagogiques en libre accès (OER). Cette évolution a aujourd’hui deux branches principales : celle d’une (possible) mutation épistémologique dont l’idée est défendue par Georges Siemens, ou cMOOC, et celle de la mutation du cours magistral en un produit sur le marché de l’enseignement et de la formation, ou xMOOC. En fait, pour ces derniers, il n’y a pas de format figé et imposé a priori même si on peut relever que dominent dans les premières offres les enregistrements de cours magistraux découpés en tranches assez fines alternées avec des évaluations le plus souvent sous forme de QCM ; sorte de thian pédagogique que pourraient assez bien accompagner des learning nuggets. Il est probable que la distinction savante entre cMOOC et xMOOC ne tiendra pas dans la durée. Déjà, notent les auteurs, apparaissent les propositions de iMOOC (orienté investigation), pMOOC (orienté projet) ou tMOOC (orienté tâche).

Après cette lecture, je pense que le mot mooc survivra dans le vocabulaire commun pour désigner une nouvelle génération de produits pour l’apprentissage en ligne associant pleinement les réseaux sociaux dans un environnement technologique tolérant un très grand nombre d’utilisateurs. C’est un peu moins que la définition minimale de Christian Queinnec, que retiennent les auteurs, qui inclut l’accompagnement de la formation par une évaluation, mais un peu plus que cela en requérant la capacité d’assurer un usage « massif  » (il faut bien garder quelque chose du sigle initial).

Mais si un mooc n’est que cela, pourquoi tant d’émotion en 2012 lorsqu’ils sont remarqués par la presse internationale. Les raisons ne me paraissent pas tenir à l’importance de l’innovation pédagogique, mais à la crainte des institutions de formation qui n’auraient pas su prendre le virage d'être marginalisées. En particulier, la « lenteur » des universités à s’engager dans ce mouvement pourrait-elle leur être fatale ?
Mooc [muːk] n. m. dispositif d’apprentissage en ligne associant pleinement les réseaux sociaux dans un environnement technologique tolérant un très grand nombre d’utilisateurs -- Étymol. et Hist. 2008 Empr. à l'anglo-amér. MOOC (Dave Educational Blog, 2 octobre 2008) formé des lettres init. de Massive, Open, Online et Course dans l'expr. Massive Open Online Course.)